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Pourquoi le marché parallèle siphonne les transferts de la diaspora

Par Yasser K
21 août 2025

Alors que le Maroc et la Tunisie canalisent leurs transferts à travers des banques et des produits dédiés, l’Algérie reste freinée par un marché parallèle qui offre 73 % de rendement supplémentaire. De quoi expliquer pourquoi, malgré une diaspora plus nombreuse, les flux officiels vers Alger plafonnent à moins de 2 milliards de dollars par an.

L’Algérie dispose d’un atout démographique exceptionnel. Avec 6 à 7 millions d’expatriés répartis en Europe et au-delà, le pays possède l’une des plus importantes diasporas du Maghreb. Cette richesse humaine se transforme pourtant en anomalie financière que révèlent les statistiques officielles : seuls 1,94 milliard de dollars transitent par les circuits formels selon la Banque mondiale. L’explication tient en un chiffre : l’écart béant entre les taux de change officiel et parallèle.

La pénalité de 73% sur les transferts officiels

L’origine de la crise algérienne des transferts réside dans une distorsion béante des taux de change. Tandis que le cours officiel fixe le dinar à 150 pour un euro, le marché parallèle propose 260 dinars – une prime de 73% qui rend les transferts officiels économiquement irrationnels.

Pour un travailleur algérien à Paris qui envoie 1 000 euros, le calcul est simple. Passer par les banques rapporte 150 000 dinars à sa famille, utiliser les réseaux informels en livre 260 000. L’incitation mathématique pousse massivement vers le contournement du système bancaire.

Cet écart de taux, entretenu par des contrôles des capitaux rigides et des réserves de change limitées, a créé une économie parallèle qui échappe entièrement aux statistiques officielles. Changeurs, réseaux informels et porteurs d’espèces absorbent l’essentiel des fonds de la diaspora, privant l’État de devises et les banques de dépôts.

Le Maroc et la Tunisie ne subissent aucune distorsion comparable. Leurs taux flottent plus librement, éliminant les opportunités d’arbitrage qui poussent les fonds vers la clandestinité. Plus de 90% des transferts marocains transitent par les circuits formels, alimentant directement le système bancaire et les réserves.

Cette différence de taux de change ne suffit pas à tout expliquer. L’Algérie souffre aussi d’un retard bancaire qui amplifie l’hémorragie.

Maroc et Tunisie : deux modèles bancarisés

Contrairement à l’Algérie, ses voisins ont multiplié les instruments pour attirer les transferts dans les circuits formels. Le Maroc, qui a capté plus de 12 milliards de dollars en 2024, a structuré une offre complète pour ses ressortissants à l’étranger. Les banques permettent d’ouvrir et de gérer des comptes en devises ou en dirhams convertibles, accessibles aussi bien au pays que dans leurs filiales en Europe. Le Trésor émet régulièrement des obligations souveraines libellées en euros ou en dollars, spécifiquement destinées à la diaspora. Le secteur bancaire propose aussi des crédits immobiliers adossés aux transferts, ce qui facilite l’acquisition de logements pour les expatriés.

Le Maroc mise également sur l’innovation numérique. Les transferts peuvent être effectués instantanément via des applications mobiles, en partenariat avec des opérateurs internationaux comme Western Union, MoneyGram ou des fintechs. L’ancrage des grandes banques marocaines en France, en Espagne et en Italie facilite encore la circulation de ces fonds.

La Tunisie, avec une diaspora plus réduite, a néanmoins capté près de 2,8 milliards de dollars en 2024 grâce à une stratégie adaptée. Les comptes en devises et en dinars convertibles y sont largement accessibles. Les autorités ont mis en place des guichets uniques destinés aux Tunisiens de l’étranger, afin de centraliser les démarches administratives et orienter les transferts vers l’investissement dans l’immobilier, le tourisme ou les petites entreprises. Des programmes de co-investissement encouragent les expatriés à participer directement au développement local. Les transferts sont en outre facilités par des solutions mobiles et digitales, souvent développées en partenariat avec les opérateurs télécoms, tandis que des produits financiers comme des certificats d’épargne ou des obligations spécifiques ciblent directement cette clientèle.

Dans les deux cas, la diaspora est perçue comme un acteur économique stratégique. Elle est intégrée dans les politiques publiques et ses fonds sont canalisés vers le système bancaire et l’investissement productif.

Face à ces dispositifs, l’Algérie reste en retrait malgré quelques évolutions récentes. Les comptes en devises demeurent limités et peu attractifs, tandis qu’aucune obligation spécifique destinée aux expatriés n’existe encore. Si la Banque Extérieure d’Algérie a ouvert des agences en France – à Paris, Marseille et Lyon- pour proposer des transferts directs, des comptes en devises et des prêts immobiliers, ces initiatives restent isolées face aux offres marocaines et tunisiennes. La digitalisation via l’application Baridimob et la carte Eddahabia facilite certains transferts, mais ne compense pas la lourdeur bureaucratique. Le secteur bancaire public peine à dynamiser sa relation avec la diaspora et à détourner les flux du marché parallèle.

Cette double pénalité – taux de change défavorable et services défaillants – crée un cercle vicieux qui pousse les transferts vers l’informel, pendant que les banques marocaines se disputent agressivement leur diaspora avec des produits sophistiqués.

Plus grave encore, l’Algérie gaspille son dividende démographique. Ses expatriés possèdent compétences, capitaux et réseaux qui pourraient stimuler le développement économique. Au lieu d’exploiter ce potentiel via des produits financiers ciblés et des incitations à l’investissement, l’Algérie traite sa diaspora comme quantité négligeable.

La réforme exige une volonté politique pour corriger les distorsions de change et moderniser le secteur bancaire. En attendant, les milliards algériens continuent de transiter par les circuits parallèles, enrichissant les changeurs tout en appauvrissant le bilan de l’État. Dans la course maghrébine aux transferts, l’Algérie possède les meilleurs coureurs mais la piste la plus défoncée.

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