En Algérie, la question des libertés syndicales revient avec insistance au cœur du débat public. Le récent communiqué du ministère de l’Éducation nationale, appelant les syndicalistes à régulariser leur situation juridique conformément à la loi 23-02, se veut rassurant. Pourtant, sur le terrain, les syndicats et plusieurs voix politiques, dont Louisa Hanoune, dénoncent une pression croissante qui met en cause l’existence même de l’action syndicale indépendante.
Le ministère invoque la loi 23-02 et l’article 119
Dans son communiqué, le ministère de l’Éducation nationale affirme ne vouloir exercer « aucune pression » sur les syndicalistes. Il précise que sa démarche vise uniquement à faire appliquer la loi 23-02 du 25 avril 2023 relative à l’exercice des droits syndicaux, notamment l’article 119, qui encadre le détachement syndical.
Le texte est clair : le détachement suspend la relation de travail et la rémunération de la personne détachée est à la charge de l’organisation syndicale concernée. Selon le ministère, plusieurs responsables syndicaux continuent de percevoir un salaire sans mandat légal ni présence effective dans leurs établissements. D’où l’appel à régulariser leur situation, soit en finalisant leur détachement, soit en reprenant leur poste initial.
Le ministère insiste : cette mesure n’affecte ni le droit syndical ni la liberté d’organisation. Il affirme maintenir le dialogue ouvert, « conformément à la loi », et se dit prêt à poursuivre la coordination avec les partenaires sociaux.
Sur le terrain, une réalité plus coercitive
Cette lecture strictement juridique est toutefois contestée par les syndicats. Le cas de la CNAPEST en est une illustration marquante. Toute tentative de contacter son porte-parole, Messaoud Boudiba, est restée vaine. Depuis février 2025, ce dernier est interdit de toute prise de parole médiatique ou publique.
Messaoud Boudiba et Boubekeur Habet, secrétaire général du syndicat, ont été interpellés lors d’un sit-in devant la direction de l’Éducation de M’Sila, sous un dispositif sécuritaire massif. Placés sous contrôle judiciaire, ils sont soumis à une obligation de pointage deux fois par semaine, avec interdiction d’activités syndicales publiques, de presse et sur les réseaux sociaux. À ce jour, ces restrictions sont toujours en vigueur.
Pour de nombreux syndicalistes, ces mesures vont bien au-delà d’une simple application de la loi et constituent une atteinte directe aux libertés syndicales garanties par la Constitution.
Louisa Hanoune : « Les syndicats sont menacés dans leur existence »
La secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, a résumé cette inquiétude en une formule sans détour : « Les syndicats sont menacés dans leur existence ». Pour elle, l’enchaînement des convocations, des poursuites judiciaires et des restrictions imposées aux responsables syndicaux traduit une volonté de neutraliser l’action collective.
Cette position rejoint celle de plusieurs partis d’opposition qui ont déjà interpellé les autorités sur ces dérives présumées, sans obtenir de réponses concrètes. Le décalage entre le discours officiel et la réalité vécue par les syndicats nourrit un climat de défiance durable.
Protection juridique ou pression administrative ?
C’est là que se situe le cœur du problème. Le ministère parle de protection juridique de syndicalistes en situation « irrégulière ». Les syndicats, eux, dénoncent une pression administrative et judiciaire qui réduit leur marge d’action à néant.
Le nouveau communiqué, censé apaiser les tensions, est perçu par certains comme une clarification nécessaire, mais par d’autres comme une pression supplémentaire. La question demeure entière : peut-on parler de libertés syndicales effectives lorsque les principaux responsables sont réduits au silence et placés sous contrôle judiciaire ?