À l’approche de l’Aïd al-Adha, le mouton devient un luxe pour de nombreuses familles algériennes. Sur les marchés à bestiaux, les prix s’envolent, atteignant des niveaux jugés « exorbitants » par les consommateurs. L’agneau dépasse les 80 000 DA, tandis que les bêtes de taille moyenne flirtent avec les 100 000 DA, voire davantage.
Une situation qui alimente frustration et désarroi au sein d’une population déjà confrontée à une inflation généralisée. Pourtant, en Algérie, le prix des moutons de l’Aïd importés d’Espagne et de Roumanie a été officiellement fixé à 40 000 DA afin de garantir une offre suffisante et de maîtriser les prix sur le marché national. Malgré cela, la flambée des prix du mouton local demeure incontrôlée et reste hors de portée pour la majorité des citoyens.
Marchés animés, familles sous pression
Sur les marchés à bestiaux d’Alger, l’effervescence est palpable à l’approche de l’Aïd al-Adha. Malgré la décision des autorités d’importer des moutons pour contenir la hausse des prix, les vendeurs locaux affirment que l’impact sur leur activité est limité.
Interrogés par Maghreb Émergent dans plusieurs points de vente, les vendeurs affichent une certaine sérénité. Venu de Hassi Bahbah, une région réputée pour son élevage, un commerçant assure que la demande reste stable. « L’importation des moutons ne nous a pas vraiment affectés en tant qu’éleveurs, la demande est toujours au rendez-vous », explique-t-il. « Je viens d’ailleurs d’appeler mes amis grossistes à Hassi Bahbah, et ils m’ont confirmé qu’ils ont tout vendu », ajoute-t-il.
Même constat du côté d’un jeune vendeur venu de la wilaya de Tissemsilt, qui affirme que les ventes se déroulent « comme les années passées ». Il précise : « La vente se passe bien pour nous et nous allons encore ramener des moutons, car d’habitude, nous vendons davantage dans les derniers jours précédant l’Aïd. »
Pourtant, sur le terrain, du côté des familles, le constat est tout autre. À travers la dizaine de points de vente visités dans la capitale, la quête du mouton « robuste et abordable » s’apparente à une mission impossible. L’excitation des enfants face aux bêtes à cornes contraste avec le stress visible sur le visage des parents.
À Chéraga (Alger), dans un espace de vente en bord de route, une mère de famille n’a pas caché son désarroi. « Nous n’avons vraiment pas le budget pour de tels moutons, mais les enfants insistent. On cherche une bonne occasion depuis déjà quelques jours, mais nous n’avons pas encore trouvé l’offre qui nous convient », confie-t-elle, accompagnée de son époux et de ses trois enfants. Autour d’elle, les prix affichés dépassent parfois les 130 000 DA.
Malgré l’arrivée de moutons importés vendus à 40 000 DA, une large partie de la population algérienne, confrontée à une situation économique difficile, ne parvient toujours pas à accéder à un mouton pour l’Aïd. Le dispositif d’importation, censé soulager le marché, s’est heurté à une réalité plus complexe : une demande très forte face à une offre restée insuffisante. Dans les points de vente visités, éleveurs et consommateurs s’accordent sur une explication : « C’est la principale raison qui a poussé les vendeurs à ne pas baisser les prix des moutons algériens », expliquent-ils à Maghreb Émergent. Le nombre limité de moutons importés n’a pas permis d’influer significativement sur le marché, laissant les prix à des niveaux toujours inaccessibles pour la majorité des ménages.
Pourquoi les prix du mouton s’envolent-ils ?
Pour de nombreux experts du secteur de l’élevage, ce blocage des prix s’inscrit dans un contexte plus large, où plusieurs facteurs se cumulent. Selon eux, cette situation résulte d’une série de causes structurelles et conjoncturelles persistantes depuis plusieurs années. Autant d’éléments qui empêchent une baisse significative des prix, malgré les mesures mises en place par les autorités.
Parmi les causes majeures, ces spécialistes citent d’abord les effets du dérèglement climatique, en particulier la sécheresse et la dégradation des pâturages. Cela oblige les éleveurs à recourir davantage à l’achat d’aliments pour bétail comme l’orge ou le foin, dont les prix ne cessent d’augmenter. « L’élevage des moutons est devenu très coûteux, et souvent marqué par des pertes importantes », confient certains éleveurs rencontrés.
Les experts du secteur soulignent également la hausse continue des prix de l’alimentation animale, impactée par l’inflation, la dévaluation du dinar, et une production nationale fragilisée. Ces charges supplémentaires pèsent lourdement sur les éleveurs, qui n’ont d’autre choix que de répercuter ces coûts sur les prix de vente.
Autre élément aggravant : la spéculation. À l’approche de l’Aïd, certains intermédiaires achètent massivement pour revendre à des prix gonflés, créant ainsi une flambée artificielle des prix, indépendamment des coûts réels de production.
Par ailleurs, la baisse de l’offre nationale accentue la pression sur le marché. Faute de rentabilité, de nombreux petits éleveurs abandonnent l’activité. Dans les zones historiquement productrices comme les Hauts Plateaux ou le Sud, les troupeaux diminuent sensiblement. « Ce n’est plus aussi rentable qu’avant, beaucoup arrêtent », expliquent ces éleveurs interrogés, confirmant une tendance préoccupante.
Les experts notent également la hausse du coût des soins vétérinaires et des vaccins, devenus indispensables pour protéger les bêtes contre diverses maladies. Là encore, les frais engagés alourdissent le budget des éleveurs. « Entre les vaccins, les médicaments et la nourriture, on travaille souvent à perte », déplore un professionnel contacté par Maghreb Émergent.
À cela s’ajoutent les coûts de transport et les problèmes logistiques, notamment la hausse du prix du carburant et le manque de marchés à bestiaux bien organisés. Ce contexte rend l’acheminement des moutons plus difficile et plus coûteux, impactant directement les prix de vente.
Enfin, les spécialistes du secteur dénoncent l’absence de régulation efficace, laissant le marché livré aux seules lois de l’offre et de la demande. L’État peine à encadrer les marges ou à soutenir durablement les éleveurs.
Et lorsque la demande explose, comme c’est le cas à l’approche de l’Aïd, le déséquilibre devient criant. Faible offre, forte demande et coûts élevés : tout converge pour faire du mouton de l’Aïd un produit de luxe pour de nombreuses familles algériennes.