La multinationale française est accusée d’avoir soutenu une unité militaire impliquée dans des exactions contre des civils en 2021, sur la zone où elle pilote l’un des plus grands projets gaziers d’Afrique. Une affaire qui ressurgit alors que l’entreprise prépare la relance de Mozambique LNG.
TotalEnergies pensait avoir tourné la page de quatre années d’incertitude sécuritaire autour de son méga-projet au nord du Mozambique. La plainte déposée à Paris ce 17 novembre par l’European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) relance pourtant les interrogations sur les conditions d’intervention du groupe français dans une région marquée par l’insurrection d’Al-Chabab.
Selon le quotidien francais Le Monde, l’ONG accuse la multinationale de « complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées », sur la base d’enquêtes menées par Politico, Le Monde et le collectif SourceMaterial, ainsi que de documents internes à l’entreprise. Elle pointe la responsabilité indirecte de TotalEnergies dans des détentions arbitraires et des violences commises entre juillet et septembre 2021 par la Joint Task Force (JTF), une unité militaire mozambicaine chargée de sécuriser la concession d’Afungi.
Un “massacre des conteneurs” documenté par plusieurs enquêtes
L’affaire renvoie à des scènes rapportées par des témoins, filmées et identifiées par imagerie satellite : des dizaines de civils ayant fui les combats auraient été enfermés dans des conteneurs métalliques à l’entrée du site gazier. Selon les témoignages, plusieurs d’entre eux auraient été affamés, torturés ou battus, et au moins cinq seraient morts.
La JTF assurait la sécurité du périmètre par le biais d’un accord conclu entre le Mozambique et TotalEnergies. Le groupe hébergeait ses soldats, assurait le soutien logistique et versait des primes censées être conditionnées au respect des droits humains.
C’est précisément ce lien opérationnel que l’ECCHR considère comme suffisant pour engager la responsabilité pénale du groupe. L’ONG estime que TotalEnergies « savait » que les forces de sécurité locales étaient accusées d’exactions, avant même les faits de 2021.
Des signaux internes ignorés ?
Toujours selon le même quotidien, les éléments versés dans la plainte montrent aussi que plusieurs signaux internes auraient alerté TotalEnergies bien avant l’épisode des conteneurs. Un rapport daté de décembre 2020 évoquait déjà des “risques élevés” d’abus imputés aux forces chargées de la sécurité. Quelques mois plus tard, un autre document couvrant la période d’avril à septembre 2021 faisait état “d’allégations récurrentes” de violations des droits humains rapportées par les communautés locales.
À la même période, les primes versées aux soldats de la Joint Task Force ont été suspendues en août puis en septembre, preuve que des dérives avaient été identifiées en interne. Enfin, un “incident” survenu en août 2021 -dont la nature n’est pas précisée- a conduit au remplacement de 200 militaires le mois suivant. Pour l’ECCHR, l’ensemble de ces signaux montre que la multinationale ne pouvait ignorer les risques et a pourtant poursuivi sa coopération sécuritaire jusqu’en octobre 2023.
Un enjeu énergétique colossal
Mozambique LNG est l’un des projets gaziers les plus stratégiques du continent :
20 milliards de dollars d’investissement, un potentiel d’export massif vers l’Asie et l’Europe, et des engagements financiers lourds de la part de bailleurs britanniques et néerlandais.
Pour TotalEnergies, il s’agit également d’une pièce centrale dans sa stratégie GNL mondiale, à un moment où les marchés européens cherchent à diversifier leurs approvisionnements.
La plainte intervient au moment où le groupe prépare la levée définitive de la force majeure et la reprise des travaux, gelés depuis l’attaque terroriste de mars 2021. Elle ajoute donc un volet judiciaire européen à un dossier déjà fragilisé par l’instabilité sécuritaire et les critiques environnementales.
Un risque réputationnel et financier pour les majors présentes en Afrique
L’affaire ne concerne pas uniquement TotalEnergies : elle illustre les risques auxquels s’exposent les majors opérant dans des zones où la sécurité est militarisée et sous-traitée à des forces locales.
Pour les bailleurs de Mozambique LNG, le sujet n’est pas nouveau. Les agences de crédit à l’export du Royaume-Uni et des Pays-Bas avaient déjà exprimé des « inquiétudes » dès 2020. Les ONG voient dans cette plainte un levier pour contraindre les entreprises à assumer leur responsabilité dans des territoires où les États sont fragiles.
TotalEnergies, de son côté, affirme n’avoir eu connaissance d’aucun élément confirmant les faits au moment où ils se seraient produits, et rappelle avoir demandé l’ouverture d’une enquête au procureur général du Mozambique en 2024.
La décision du Parquet national antiterroriste français de donner ou non suite à la plainte sera déterminante. Si la justice ouvre une enquête, le dossier pourrait peser durablement sur la relance d’un projet déjà contesté.






