Le régime des préférences tarifaires accordées par l’Union Européenne aux pays en développement, le Système de préférences généralisées (SPG), est désormais assorti d’une condition nouvelle et controversée : les États bénéficiaires devront « coopérer » à la réadmission de leurs ressortissants expulsés d’Europe.
L’accord conclu le 1ᵉʳ décembre 2025 entre le Conseil de l’Union européen et le Parlement marque un tournant discret mais profond dans la relation entre l’Europe et les pays du Sud. Une tentation de chantage à la mode Trump qui mélange allègrement les sujets et les genres.
Pensé pour soutenir le développement, la réduction de la pauvreté et la promotion des droits humains, le SPG se retrouve instrumentalisé au service des priorités migratoires de Bruxelles. Les textes adoptés autorisent la Commission européenne à proposer la suspension d’avantages tarifaires si un pays est jugé insuffisamment coopératif.
Quelques garde-fous ont été introduits : une longue phase de dialogue préalable et un délai supplémentaire pour les pays les plus pauvres. Les responsables européens affirment que ces mécanismes garantiront une utilisation « proportionnée » et « exceptionnelle » de la clause. Mais derrière ces précautions de langage, l’orientation générale marque une rupture franche, “trumpienne” pourrait-on dire, dans la relation entre l’UE et ses partenaires du Sud.
Cette conditionnalité, incongrue, s’inscrit dans la logique des discours anxiogènes – et racistes – contre les migrants en Europe. Il est difficile de ne pas y voir l’expression de la pression grandissante exercée par les forces politiques d’extrême droite qui entraînent dans leur sillage xénophobe la droite traditionnelle.
Un tournant critiqué par des ONG et des députés européens
Plusieurs voix parlementaires ont dénoncé un détournement de l’objectif initial du SPG. L’eurodéputée écologiste finlandaise Heidi Hautala a regretté que le débat ait glissé vers les enjeux migratoires plutôt que vers les objectifs du développement durable. Selon elle, « la question de la réadmission a détourné l’attention et les ressources de négociation du cœur même de cet instrument, qui est le développement durable ». Pour une partie des élus européens, le commerce international et la migration doivent rester strictement séparés, faute de quoi la crédibilité du dispositif serait fragilisée.
Les organisations de défense des droits humains ont exprimé des critiques encore plus tranchées. Un groupe de plus de vingt ONG, dont la Fédération internationale pour les droits humains, estime que la conditionnalité migratoire est « contreproductive ». Selon elles, cette clause « empêcherait les pays de bénéficier des accords SPG, qui peuvent effectivement promouvoir la protection des droits de l’homme et alléger la pauvreté, la répression et la mauvaise gouvernance, conditions qui poussent les gens à quitter leur pays ».
Human Rights Watch et plusieurs organisations partenaires ont même demandé aux législateurs de « supprimer toute référence à la réadmission comme conditionnalité », rappelant que les accords commerciaux ne doivent pas devenir des outils de coercition migratoire, car cela affaiblirait à la fois les droits et la stabilité des pays concernés.
Incompatible avec les règles de l’OMC
Certains experts en droit commercial international ont souligné que faire dépendre l’accès au marché européen d’un niveau jugé suffisant de coopération migratoire pourrait se révéler « incompatible » avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce et déclencher des contestations juridiques lourdes de conséquences. Une telle incertitude pourrait ébranler non seulement les relations commerciales mais aussi l’image de l’Union comme acteur attaché au respect du droit international.
Dans un contexte de montée des droites radicales, ce nouveau mécanisme constitue un signal supplémentaire du recul de l’Europe sur ses engagements historiques en matière de développement. Avec ce dispositif, l’Europe franchit un nouveau pas en n’hésitant plus à transformer des outils économiques en leviers politiques pour imposer ses priorités internes.