Alors que la société marocaine manifeste massivement contre la normalisation avec Israël et le génocide à Gaza, les autorités poursuivent discrètement leur coopération militaire avec l’État hébreu. La visite récente de hauts responsables des Forces armées royales (FAR) en Israël, révélée par plusieurs médias, illustre ce rapprochement stratégique mené à contre-courant de l’opinion publique.
Pendant le génocide, la coopération militaire se renforce
C’est Africa Intelligence qui, le 2 septembre, a révélé en premier l’information : une délégation de haut rang des FAR s’est rendue en Israël pour rencontrer des industriels de la défense. L’information a ensuite été reprise par Yabiladi le 4 septembre, puis relayée par Middle East Eye le 8 septembre.. Aucune confirmation officielle n’a été donnée, ni par Rabat ni par Tel-Aviv, mais les détails rapportés laissent peu de doute sur la réalité de cette visite. Pendant le génocide, la coopération militaire se renforce.
Organisée par la Direction israélienne de la recherche et du développement du ministère de la Défense (MAFAT), cette rencontre aurait permis aux généraux marocains d’assister à des démonstrations de technologies de pointe : systèmes anti-drones développés par Sentrycs et D-Fend Solutions, dispositifs de visée de précision conçus par Smart Shooter, ou encore plateformes lourdes proposées par Israel Aerospace Industries (IAI). Au-delà de simples présentations, ces échanges viseraient à explorer des acquisitions directes ainsi que des projets conjoints dans des domaines sensibles comme la cybersécurité ou l’intelligence artificielle appliquée à la défense.
Une coopération qui s’intensifie depuis 2020
Cette visite s’inscrit dans la logique des Accords d’Abraham entrainant une normalisation formelle des relations diplomatiques avec Israël en décembre 2020. En échange, l’administration Trump avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Une évolution majeure, contestée par une population marocaine impuissante, qui a accentuée considérablement les tensions entre Alger et Rabat.
En novembre 2021, un mémorandum d’entente inédit a été signé entre les ministres de la Défense, couvrant la coopération industrielle, la formation et le partage d’expertise. En juillet 2022, le chef d’état-major israélien, Aviv Kohavi, effectuait une visite qualifiée d’« historique » à Rabat. Plusieurs contrats ont suivi, portant sur des systèmes de défense aérienne, des drones de surveillance et de combat, ainsi que des satellites d’observation. En 2024, des médias israéliens et français ont annoncé l’installation au Maroc d’une unité de production de drones en partenariat avec IAI, signe d’une volonté de structurer une coopération industrielle durable.
Une rue marocaine hostile
Mais ce rapprochement diplomatique et militaire se heurte à une opposition populaire massive. Depuis l’automne 2023, alors que la guerre génocidaire à Gaza s’intensifiait, des manifestations d’une ampleur inédite ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes dans les grandes villes marocaines, notamment à Rabat et Casablanca. Les cortèges ont dénoncé à la fois les massacres israéliens contre les Palestiniens et la normalisation des relations diplomatiques décidée par le royaume.
Les slogans mêlaient solidarité avec Gaza, rejet de la coopération militaire et appels à rompre les accords conclus avec Tel-Aviv. La cause palestinienne reste profondément ancrée dans la société marocaine, au-delà des clivages politiques. Les images de bombardements à Gaza ont ravivé un sentiment de colère et d’indignation, qui contraste fortement avec la discrétion affichée par les autorités sur leurs engagements militaires.
Le fait que la visite des généraux n’ait donné lieu à aucune communication officielle n’est pas une exception, mais plutôt la règle dans une stratégie menée en coulisses. Le Maroc officiel assume ce rapprochement militaire sans être en mesure de le justifier publiquement, préférant avancer dans l’ombre pour éviter d’attiser une contestation déjà vive.