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Finances

Réponse à Slim Othmani (III) : La valeur du dinar au cœur de l’échec économique

Par Yazid Ferhat 29 avril 2017

Une monnaie surévaluée favorise les importations et décourage les exportations. C’est une évidence, mais les gouvernants algériens refusent de corriger ce défaut majeur de l’économie algérienne, évitant un débat, pourtant nécessaire, sur la convertibilité du dinar.

 

L’écart entre le taux officiel du dinar et celui enregistré sur le marché parallèle s’est dangereusement creusé depuis une année. Alors que l’euro est à 117 dinars au marché officiel, il frôle les 190 dinars sur le marché parallèle et devrait franchir la barrière symbolique des deux cent dinars d’ici la fin de l’été. Le dollar est à 110 dinars sur le marché officiel et 175 dinars sur le marché informel. L’écart est de près de 60%, alors qu’il était resté légèrement inférieur à 50% pendant une longue période.

Cet écart a commencé à se creuser depuis le départ de Mohamed Laksaci et son remplacement par M. Mohamed Loukal à la tête de la Banque d’Algérie en mai 2016. Malgré une position accommodante, M. Laksaci avait tenté de faire glisser le dinar pour ne pas approfondir le gap entre la valeur administrée du dinar et sa valeur réelle, à défaut de combler le gap. Sa démarche, qui tentait de se rapprocher de l’orthodoxie financière, avait été jugée hostile par un gouvernement à court de liquidités. L’exécutif a obtenu son départ et son remplacement par un banquier traditionnel plus docile, peu enclin à se préoccuper des fondamentaux de l’économie.

Nombreuses distorsions

Dans une analyse publiée par Maghreb Emergent, M. Slim Othmani, président du Cercle d’action et de réflexion sur l’entreprise, estime ainsi que « la banque centrale a rempli une partie de sa mission en procédant à une dévaluation tout en préservant la paix sociale ». Il déplore cependant que « la dévaluation ne fut pas à la hauteur des recommandations des institutions internationales et des experts », et prévoit que « le processus est engagé, et il faut s’attendre à une autre vague de dévaluation dans les prochains mois ». Il estime enfin que « pour gérer un déséquilibre de la balance des paiements, ajuster la valeur de la monnaie est le mécanisme le plus démocratique, le plus transparent et celui qui ne crée pas de rentes indues supplémentaires».

Les distorsions générées par une monnaie surévaluée sont connues. Il suffit de lire une publication de vulgarisation du FMI pour les connaitre. La valeur de la monnaie nationale pose problème, et un double marché de la devise impose de fait ses règles. Il y a, en Algérie, ceux qui ont un accès légal à des devises au marché officiel, et ceux qui n’en ont pas. Avec la gestion actuelle, la possibilité d’aller à terme vers une convertibilité totale du dinar s’éloigne.

Une prime à l’importation

Une monnaie surévaluée, comme l’est le dinar, constitue un encouragement évident des importations. A l’inverse, une monnaie sous-évaluée encourage les exportations. Cela fait partie de l’ABC de la finance. Mais une monnaie surévaluée génère aussi de multiples trafics. De très nombreux importateurs ont ainsi recours à la surfacturation, dans le but d’exporter des devises. L’ancien ministre du commerce avait ainsi estimé les exportations illicites de devises à 30% du total des importations, soit près de 18 milliards de dollars dans les années fastes. Même si les importations ont été réduites, la marge reste importante.

Il est toujours possible de vanter les avantages d’une monnaie surévaluée, notamment le maintien des prix des produits importés, à un niveau suffisamment bas pour maintenir la paix sociale, qu’il s’agisse de produits finis ou d’intrants nécessaires à la production locale. Mais en parallèle, le coût économique de cette politique devient effrayant quand on énumère tous les dysfonctionnements qui en découlent.

Un verrou central

Ramener une monnaie à sa vraie valeur élimine, de fait, une série de série d’anomalies, et régler tout un ensemble de problèmes: transferts de devises, exportation de monnaie forte, investissement à l’international, etc. La question du rapatriement des devises, un sujet ridicule de l’actualité économique algérienne, disparaitrait de fait avec une monnaie côté à sa juste valeur. Une monnaie sous-évaluée provoquerait même un mouvement inverse : les gens achèteraient volontiers du dinar.

M. Rebrab, qui dispose d’un important excédent en liquidités en Algérie, veut investir à l’international. Lui permettre aujourd’hui de transférer de l’argent à l’étranger au taux officiel n’a pas de sens, dans une période de crise de la devise. Cela équivaudrait à lui accorder une prime équivalent pratiquement à la moitié de l’argent transféré. Lui demander d’aller sur le marché noir aurait un intérêt économique limité pour lui, et aurait un effet dangereux sur la monnaie nationale. C’est donc le blocage, qui ne peut être levé que par un dinar ramené à sa vraie valeur, voire légèrement en dessous de sa vraie valeur pour donner un coup de fouet aux exportations.

Une opération très complexe

Mais en l’état actuel des choses, l’opération serait périlleuse, car elle exige des préalables qui n’existent pas. Comment l’organiser ? Ses partisans restent frileux sur le sujet.  Une dévaluation brutale serait ingérable sur le plan économique et social. Une évolution sur plusieurs années, avec des objectifs affichés et transparents est préconisée par les experts qui s’expriment sur la question. Mais cela nécessite deux préalables. D’abord, un pouvoir suffisamment légitime pour mener l’opération. Il doit bénéficier des soutiens politiques nécessaires jusqu’à l’aboutissement. Cela peut prendre le temps d’un mandat législatif ou présidentiel.

Ensuite, une administration assez efficace pour opérer les ajustements nécessaires en cours de route. Et ils sont nombreux. L’inflation risque d’exploser, des couches sociales seront touchées, des secteurs d’activité devront être abandonnés. Des mesures d’accompagnement très complexes doivent donc être mises en œuvre.

Et, surtout, ce genre de mesure ne produit ses résultats qu’à moyen terme. Il faudra que le gouvernement qui se lance dans cette périlleuse aventure tienne le temps nécessaire pour que le pays récolte les fruits de la démarche.

Lire sur le même sujet : Réponse à Slim Othmani (I) – Le Partenariat public-privé et le risque de prédation en Algérie

Lire sur le même sujet : Réponse à Slim Othmani (II) : dépénaliser l’acte de gestion, un faux problème

 

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