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Ressources minières : le projet de loi qui renverse le principe du 49/51

Par Yasser K
18 mai 2025

Le projet de loi sur les mines, actuellement en discussion à l’Assemblée Nationale, introduit un changement fondamental dans la politique d’investissement du pays. Les sociétés étrangères pourront désormais détenir jusqu’à 80% du capital des projets miniers, une disposition qui suscite de vives controverses dans le paysage politique algérien.

Selon une copie du projet de loi consultée par Maghreb Emergent, l’exposé des motifs précise que “l’octroi des permis d’exploitation de mines aux personnes morales créées par les actionnaires étrangers de droit algérien, donne droit à l’attribution à l’entreprise nationale, d’une participation fixée à vingt pour cent (20%) au maximum du capital social de la société d’exploitation, pendant toute la durée de vie de la mine. Cette participation ne peut connaître aucune dilution en cas d’augmentation du capital social.”

Cette règle est formalisée dans l’article 102 du texte qui stipule que “l’entreprise nationale participe dans la limite de vingt pour cent (20%) dans le capital de la personne morale de droit algérien, détenue partiellement ou totalement par des étrangers, lorsque cette personne morale sollicite l’octroi d’un permis d’exploitation de mines.”

Le projet prévoit également une exception notable : “l’entreprise nationale peut détenir une participation contributive sans limitation dans le capital d’une société d’exploitation d’un gisement pour lequel l’État a investi dans la phase de recherche et d’identification de ce gisement.”

Cette nouvelle règle des 80/20 représente un renversement complet par rapport au principe dit du “49/51” qui régissait jusqu’à présent les secteurs stratégiques de l’économie algérienne, imposant une participation majoritaire nationale.

Une opposition politique unanime contre ce bouleversement économique

“Dangereux”, “Catastrophique”, qualifié même de “Bradage des ressources nationales”, le projet de loi minière suscite une opposition farouche au sein du paysage politique. Les formations de l’opposition dénoncent particulièrement l’abandon de la règle du 49/51 au profit d’une participation étrangère à hauteur de 80% ou plus, y voyant une menace directe pour la souveraineté économique du pays et un risque pour les générations futures. Cette réforme est perçue comme une rupture profonde avec les principes fondamentaux de l’économie nationale et un précédent inquiétant qui pourrait s’étendre à d’autres secteurs stratégiques.

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Youcef Aouchiche condamne “la manière dont ce projet dangereux est traité, sans débat approfondi ni réelle consultation des acteurs et spécialistes”. Le FFS estime que certaines dispositions “hypothèquent les capacités de la nation et bradent les ressources des générations futures.”

Le parti s’indigne particulièrement de l’abandon de la règle du 49/51 : “Comment pourrions-nous rester silencieux alors que le projet de loi sur les mines permet aux entreprises étrangères de détenir jusqu’à 80% des investissements miniers, contre seulement 20% pour les entreprises nationales ? N’est-ce pas là un abandon manifeste de la règle du 49/51, qui constituait l’un des garants de la souveraineté durant les décennies passées ?”

Le FFS conclut en affirmant qu’ “accorder un contrôle quasi total sur les ressources minières nationales à des sociétés étrangères, c’est renoncer ouvertement aux droits des Algériens et des Algériennes et porter gravement atteinte à l’avenir des générations à venir. Les richesses minières ne sont pas négociables et ne sauraient être bradées de manière aussi inéquitable.”

De son côté, le Parti des Travailleurs (PT) a également exprimé une forte opposition au projet de loi. Sa secrétaire générale, Louisa Hanoune, a qualifié l’annonce de ce projet de véritable “choc” et d’une démarche “totalement inattendue”. Lors d’un débat avec les responsables et membres du parti à Alger, elle a rappelé que “l’article 20 de la Constitution stipule que les mines sont un domaine qui ne peut être touché, précisant que les ressources naturelles du sous-sol, que ce soient les hydrocarbures ou les mines, sont une propriété du pays”.

Pour le PT, ce projet de loi “qui revient sur la règle 51/49” pour les exploitations minières, “va aboutir dans les faits à l’annulation de la nationalisation des mines qui avait été rétablie en 2014 après une longue bataille”. Louiza Hanoune considère cette démarche comme “incompréhensible et inutile”, particulièrement dans les circonstances actuelles.

Interpellant directement les élus de l’Assemblée Populaire Nationale et du Conseil de la nation, Louisa Hanoune a averti que la validation de ce projet “serait un tournant extrêmement dangereux”. Elle a même prédit que “par la suite ce seront les hydrocarbures qui seront ciblés”, appelant les élus à “éviter” ce cas.

Entre critiques et nécessité de réforme : les aspects techniques du projet

Face à ces vives critiques politiques, le gouvernement défend une vision pragmatique visant à moderniser un secteur considéré comme sous-exploité. Au-delà de la question controversée du partage du capital, le projet comporte plusieurs innovations techniques destinées à redynamiser l’industrie minière algérienne.

Le projet de loi va bien au-delà de la question de la participation étrangère. Il supprime notamment la classification des substances minérales comme « stratégiques », ce qui permet désormais aux investisseurs privés, y compris étrangers, d’obtenir des permis miniers pour tous types de minerais.

Les permis d’exploration et d’exploitation deviennent des titres cessibles, transmissibles, amodiables et susceptibles d’hypothèque, ce qui devrait faciliter l’accès au financement et la liquidité des investissements. La durée de validité des titres est également allongée pour mieux répondre aux contraintes du secteur. Le texte introduit également un “droit de l’inventeur” pour le découvreur d’un gisement, lui garantissant une priorité à l’obtention du permis d’exploitation.

Sur le plan administratif, le projet affiche une volonté de réduction de la bureaucratie pour l’octroi des permis et une limitation des délais de traitement. Cependant, l’article 61 introduit l’obligation une “enquête administrative préalable auprès de la wilaya concernée par l’activité minière, sanctionnée par l’avis du wali” pour l’ensemble des titres et autorisations miniers (à l’exception de l’autorisation de prospection). Cette disposition, qui conserve un fort pouvoir d’appréciation de l’administration, semble contradictoire avec l’objectif de simplification administrative.

Un dispositif différencié selon le type d’exploitation

Dans sa recherche d’équilibre entre ouverture économique et préservation des intérêts nationaux, le législateur a opté pour une approche nuancée selon le type de ressources concernées.

Ainsi, le projet établit une distinction claire entre les mines et les carrières. Si les sociétés étrangères peuvent détenir jusqu’à 80% du capital des sociétés exploitant des mines, l’article 103 maintient pour les carrières (matériaux de construction, sable, gravier) l’obligation d’une majorité nationale à hauteur de 51% au minimum.

Cette différenciation révèle une approche modulée de l’ouverture économique : maximale pour les mines afin d’attirer les investissements étrangers et les technologies, plus restreinte pour les carrières, secteur jugé plus sensible pour l’économie locale et l’aménagement du territoire.

Des garde-fous pour protéger les intérêts nationaux

Malgré cette ouverture sans précédent aux capitaux étrangers, le projet de loi maintient certains garde-fous. La participation nationale de 20% ne peut être diluée, même en cas d’augmentation du capital social. Cette règle s’applique durant toute la durée de vie de la mine. Le texte impose également aux opérateurs miniers de valoriser les produits localement, notamment par l’installation d’unités de transformation, le recours prioritaire à la main-d’œuvre locale et le transfert de technologie. Ils doivent également contribuer à la satisfaction des besoins du marché national en produits finis, favorisant ainsi l’intégration industrielle.

Le projet renforce aussi l’encadrement environnemental avec l’obligation de réaliser des études d’impact et des plans de réhabilitation. Il maintient les prérogatives de la police des mines, dotée de pouvoirs de contrôle et d’inspection étendus, et rend le titulaire du titre minier responsable de la remise en état des sites et de la réparation des dommages environnementaux.

Cette refonte du cadre juridique minier intervient alors que l’Algérie cherche à attirer des investissements étrangers pour diversifier une économie encore massivement dépendante des hydrocarbures. Le gouvernement justifie ces concessions importantes par plusieurs obstacles au développement du secteur: procédures administratives jugées trop complexes, garanties insuffisantes pour les investisseurs et manque de données géologiques fiables.

L’objectif affiché est double : créer un environnement plus favorable aux investissements pour attirer expertise et capitaux, tout en assurant une valorisation optimale du patrimoine minéral national dans une perspective de diversification économique durable.

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