Alors que les massacres à Gaza suscitent une indignation mondiale, une autre réalité, plus silencieuse, se consolide dans les coulisses du Moyen-Orient : celle d’un rapprochement économique entre l’Arabie saoudite et Israël. Un article de “Arab Digest”, repris par Orient XXI, souligne qu’au-delà des déclarations prudentes et des postures diplomatiques, Riyad investit massivement dans des secteurs clés de l’économie israélienne, y compris ceux directement liés à l’occupation des territoires palestiniens. Une normalisation de fait, portée par les logiques du capital, s’installe sans drapeau ni reconnaissance officielle.
Vision 2030 comme levier
Le programme « Vision 2030 », lancé en 2016 par Mohammed Ben Salman, vise à transformer l’économie saoudienne en réduisant sa dépendance au pétrole. Pour cela, le royaume mise sur des secteurs stratégiques comme l’intelligence artificielle, la cybersécurité, les énergies renouvelables et le tourisme — autant de domaines où Israël s’impose comme un acteur majeur.
Selon Arab Digest, le prince héritier aurait rencontré Benyamin Nétanyahou à Neom en novembre 2020, en présence du secrétaire d’État américain Mike Pompeo. Cette rencontre, tenue secrète, s’inscrit dans une série de gestes discrets mais significatifs, dont l’ouverture de l’espace aérien saoudien aux compagnies israéliennes en 2022 constitue l’un des premiers marqueurs publics.
Le Fonds d’investissement public : bras financier de la normalisation
Le Fonds d’investissement public (FIP), dirigé par Yasir Al-Rumayyan, gère plus de 600 milliards de dollars d’actifs et joue un rôle central dans la stratégie économique du royaume. En 2021, il investit deux milliards de dollars dans Affinity Partners, le fonds lancé par Jared Kushner, ancien conseiller de Donald Trump et gendre du président américain.
Ce fonds sert de relais vers deux entreprises israéliennes majeures. Shlomo Group, spécialisé dans le transport et la logistique, fournit des services aux forces israéliennes d’occupation. Phoenix Financial, acteur dominant des services financiers en Israël, détient notamment près de 4 % du fabricant d’armement Elbit Systems, fournisseur principal de l’armée israélienne en équipements terrestres et drones de combat.
Kushner, Gaza et le cynisme colonial
Jared Kushner ne s’est pas contenté d’orchestrer des flux financiers. Il a également exprimé une vision glaçante de l’avenir de Gaza. Dans une déclaration à l’Université Harvard citée par The Guardian , il suggère que les propriétés en bord de mer à Gaza « pourraient avoir une grande valeur » si les Palestiniens cessaient de « dépenser de l’argent dans des tunnels ou des munitions ». Il ajoute : « Si j’étais Israël en ce moment, je ferais de mon mieux pour faire partir les gens et ensuite nettoyer. »
Ces propos, d’une brutalité coloniale assumée, montrent qu’en finançant Affinity Partners, Riyad ne se contente pas de moderniser son économie
Capital-risque et haute technologie : un réseau structuré
Les investissements saoudiens dessinent un réseau structuré de partenariats technologiques et financiers. En janvier 2025, Palantir Technologies, entreprise américaine spécialisée dans l’analyse de données, noue un partenariat stratégique avec Al-Turki Holding, groupe saoudien lié au FIP. Ce rapprochement s’inscrit dans une dynamique amorcée dès 2023, lorsque le FIP investit dans Founders Fund, fonds dirigé par Peter Thiel, cofondateur de Palantir.
La stratégie saoudienne s’appuie également sur des géants mondiaux. Dès 2017, Riyad place vingt milliards de dollars chez Blackstone, qui accroît par la suite ses participations dans des start-up israéliennes de cybersécurité. En parallèle, le FIP engage quarante-cinq milliards dans le SoftBank Vision Fund, lequel ouvre un bureau à Tel-Aviv en 2021. En 2022, l’Arabie saoudite prend une participation majoritaire de 450 millions de dollars dans Magic Leap, entreprise américaine de réalité augmentée ayant acquis dès 2016 la société israélienne NorthBit.
Des ponts bilatéraux
Au-delà des capitaux, des programmes de coopération bilatérale se multiplient. La fondation BIRD, initiative américano-israélienne dédiée à la recherche et au développement, bénéficie indirectement de relais saoudiens. Plusieurs entreprises israéliennes sont désormais actives en Arabie saoudite, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et de la cybersécurité. Parmi elles, Eco Wave Power développe des solutions énergétiques innovantes, tandis que CyberArk et XM Cyber proposent des technologies de protection numérique utilisées dans des infrastructures sensibles du royaume.
Une normalisation sans drapeau, mais bien réelle
Ces flux financiers, ces partenariats technologiques et ces convergences stratégiques dessinent une réalité parallèle : celle d’une normalisation économique déjà actée. Si Riyad recule sur la scène diplomatique, ses fonds avancent en silence. Et dans les bilans comptables, la normalisation ne fait plus débat : elle est déjà inscrite en capital.