Alors que plusieurs journaux espagnols de droite et d’extrême droite multiplient les accusations contre Alger, l’accusant d’« instrumentaliser » l’émigration vers l’Europe, le quotidien El País apporte un éclairage différent. Dans un long reportage publié le 28 août, le grand quotidien madrilène, de centre-gauche et considéré comme l’un des journaux de référence en Espagne, déconstruit l’idée d’un prétendu « chantage migratoire » de la part des autorités algériennes.
Pressions internes et logiques de réseaux
L’article constate que les arrivées de migrants en provenance des côtes algériennes se sont multipliées cet été vers les Baléares. Mais El País n’y voit pas une stratégie politique délibérée de la part d’Alger et insiste sur l’absence de preuves. Le journal cite des sources policières espagnoles : « il n’y a pas d’éléments pour penser que l’Algérie utilise la migration comme outil de pression ». Les relations sécuritaires et policières entre Alger et Madrid sont décrites comme « cordiales » et « efficaces », loin du climat de rupture évoqué dans certains titres conservateurs.
Le quotidien analyse plutôt le phénomène comme le résultat de plusieurs dynamiques internes en Algérie. Une partie importante de la jeunesse algérienne continue de chercher à émigrer. En outre, l’Algérie est aussi devenue une terre de transit pour des milliers de migrants subsahariens installés au sud du pays, qui attendent l’opportunité de traverser la Méditerranée.
À cela s’ajoute la montée en puissance de réseaux de passeurs de plus en plus structurés, capables d’organiser des traversées « haut de gamme » depuis Oran avec des embarcations puissantes, ou bien des voyages « low cost » en direction des Baléares depuis les environs d’Alger.
Facteurs climatiques et changements de routes
L’article relève également des facteurs structurels souvent négligés dans les débats politiques : le cycle saisonnier des départs, plus intense entre août et octobre, ainsi que la reconfiguration des grandes routes africaines. La Libye, autrefois première porte de sortie, est de plus en plus délaissée au profit de l’Algérie, devenue une voie directe vers l’Espagne.
Une « arme migratoire » ? Une thèse démentie
Contrairement aux accusations récurrentes des médias de droite — qui comparent parfois Alger à Ankara et parlent d’un usage cynique des flux migratoires comme « arme de pression » — El País rappelle que l’Algérie n’a jamais fait de la migration un outil de sa diplomatie. Le quotidien ne le souligne pas, mais contrairement au Maroc — qui a clairement utilisé la migration comme levier diplomatique et obtenu un revirement de Pedro Sánchez sur la question du Sahara Occidental — l’Algérie s’est toujours abstenue de cette stratégie.
El País note d’ailleurs que même au plus fort de la crise diplomatique de 2022, quand Alger avait suspendu temporairement les expulsions de ses ressortissants, les canaux de coopération technique avec Madrid n’ont jamais été rompus.L’analyse proposée par El País s’éloigne ainsi des simplifications idéologiques. Plutôt que de réduire l’augmentation des arrivées à un calcul politique, le quotidien met en avant la combinaison de facteurs démographiques, économiques, criminels et climatiques. Loin du cliché du « chantage migratoire », l’Algérie apparaît comme un pays confronté lui-même à ces pressions et qui demeure, aux yeux mêmes des autorités espagnoles, un partenaire clé dans la gestion de la migration irrégulière.