Dans le paysage économique et politique algérien, rares sont les figures aussi clivantes, puissantes et résilientes que Saïda Neghza. Elle incarne à la fois l’audace entrepreneuriale, la résilience féminine et la complexité du pouvoir économique en Algérie.
Elle incarne un itinéraire hors normes, façonné par les drames personnels, les batailles économiques et les turbulences politiques. De ses débuts modestes à son emprisonnement ce mois de juillet 2025, son parcours est marqué par les contrastes : ascension fulgurante, influence continentale, mais aussi polémiques tenaces et fin de règne brutale. Portrait d’une femme de pouvoir, aussi admirée que contestée.
Une enfance marquée par le labeur et la précocité
Grandi à Constantine, et originaire des Bibans en Kabylie, Saïda Neghza évolue dans une famille modeste. Très jeune, elle travaille dans le restaurant de son père, animée par une volonté d’indépendance qui tranche avec les trajectoires plus traditionnelles de ses sœurs. Dès l’âge de dix ans, elle subvient à ses besoins, forgeant ainsi une détermination qu’elle ne cessera jamais d’afficher.
Avant ses 20 ans, elle épouse un maître ouvrier, propriétaire d’un terrain d’oliviers. Une nouvelle étape dans sa vie, mais au bonheur éphémère puisqu’à 24 ans, elle devient veuve, avec un enfant à charge et une huilerie au bord de la faillite. Face à cette situation, elle décide de vendre l’entreprise familiale et part s’installer à Alger, où débute véritablement son aventure entrepreneuriale.
L’essor d’une femme d’affaires formée par le terrain
Sans formation académique classique, mais armée de détermination, Saïda Neghza apprend les ficelles des affaires sur le terrain. Elle se lance en 1992 dans la torréfaction de café, avec la marque Mouni. Une gageure au moment où le pays plongeait de plein pied dans le terrorisme. Mais pas de quoi la décrourager. Et malgré un contexte économique et sécuritaire hostile, elle persévère, diversifie ses activités (notamment l’importation de boissons espagnoles), avant de fonder, en 2000, Errep, sa première entreprise de BTPH, à l’ombre des grands programmes immobiliers du président Bouteflika.
La consécration viendra avec la création du groupe Soralcof, actif dans plusieurs secteurs stratégiques : construction, hydraulique, import-export. Cette ascension lui permet d’obtenir en 2007 un contrat majeur : la réalisation de 700 logements pour le compte de la Gendarmerie nationale. Mais le projet vire au cauchemar : son partenaire espagnol, Arproinsa, se retire brusquement. Une situation qu’elle n’avait pas vu venir et qui lui cause bien des tracas. Seule face à des charges colossales, elle s’effondre et sombre dans un coma de 24 jours. Elle réussit toutefois à surmonter cette épreuve.
Une patronne au sommet
Parallèlement à ses activités, Saïda Neghza s’emploie à organiser le patronat. C’est ainsi qu’elle intègre la CGEA en 1997. Très vite, elle y gravit les échelons : présidente du bureau d’Alger, vice-présidente nationale en 2004, puis présidente nationale en 2006. Son style ? Direct, offensif, souvent perçu comme autoritaire. Dans un contexte où une oligarchie construite autour de Bouteflika commençait à étendre ses tentacules dans toutes les sphéres d’activités économiques, Said Neghza s’insurge et s’oppose frontalement au FCE d’Ali Haddad, dénonçant ses compromissions.
Aux yeux de certains, sous sa direction, la CGEA était devenue une plateforme pour défendre un climat d’affaires favorable aux entreprises algériennes, mais aussi à l’entrepreneuriat féminin. Ses réussites, son engagement, mais aussi sa fermeté ont fini par la propulser parmi les 50 femmes les plus influentes d’Afrique en 2023, selon un classement de Forbes Afrique. Une année plutôt, c’est la chaine francophone TV5 Monde qui la sacre “Femme politique la plus influente d’Afrique”, saluant son engagement pour l’autonomisation des femmes et des jeunes.
Une personnalité clivante
Cependant, Said Neghza était loin de faire consensus, autant au sein du monde des affaires que de l’establishment politique. Femme de poigne pour les uns, dirigeante autoritaire pour les autres, son style de gestion centralisé, ses prises de position tranchées, ses ambitions politiques affirmées, tout a fini par concourir à faire d’elle une figure clivante du patronat algérien. À la CGEA, certains saluent son courage et sa capacité à porter haut les intérêts des entreprises, mais, d’autres, en revanche, dénoncent une personnalisation excessive d’un organe supposé collectif et parfois des sorties de piste qui éclaboussent.
Une voix politique qui dérange ?
En mars 2019, dans le tumulte du Hirak, elle surprend par la virulence de ses propos. Sur une chaîne privée, elle déclare : « Je déteste Gaid Salah, comme je déteste Toufik, Bouteflika, sa fratrie, Ouyahia et toutes les crapules qui gravitent autour. ». Une diatribe en rupture avec son image qu’elle tentait de soigner jusque là. Pourtant, quelques années plus tôt, elle n’hésitait pas à dire : « S’il [le général Toufik] m’appelle, je vais chez lui en rampant. » Deux phrases, deux époques, mais une même capacité à diviser.
Son rapport au Hirak évolue, lui aussi. D’un soutien enthousiaste en 2019, elle se rapproche progressivement, dés 2021, du discours officiel, prônant stabilité et paix sociale. Une inflexion interprétée par certains comme « opportunisme », par d’autres comme « stratégique », notamment à l’approche de la présidentielle de 2024.
Autre polémique autour de Neghza : un enregistrement téléphonique fuité en juillet 2023. Attribué à un échange avec Samir Gaid, DG de l’APS, on y entend la femme d’affaire proférer des menaces à peine voilées après la publication d’un article critique à son égard. Ce dérapage achève de ternir une image déjà ébranlée.
L’ambition présidentielle… et la chute
Contre toute attente, elle décide, en janvier 2024, de se lancer dans la course à l’élection présidentielle, devenant l’une des rares femmes à viser ce poste en Algérie. Mais, faute de parrainages, son dossier est rejeté. C’est alors que commencent les déboires pour elle. En août, elle est placée sous contrôle judiciaire, accusée d’avoir acheté des parrainages. Et en mai 2025, la sentence finit par tomber : dix ans de prison pour corruption, ramenés à quatre ans en appel ce mois de juillet, embarquée dans cette descente aux enfers en compagnie de Belkacem Sahli et Abdelhakim Hamadi, tous deux recalés à la présidentielle.
Une santé fragilisée, une image en suspens
À l’énoncé de son verdict, Saïda Neghza s’effondre au tribunal. Un malaise qui relance les rumeurs sur sa santé affaiblie. Si aucune information officielle n’a été communiquée, des sources évoquent les conséquences d’une lourde intervention chirurgicale subie il y a quelques mois. L’image d’assurance qu’elle projetait habituellement (silhouette droite, cheveux blonds impeccablement coiffés, regard déterminé) a fini par se fracasser sur les récifs d’un système qui n’épargne ni ses serviteurs zélés, ni ses adversaires.
Malgré cette chute qu’elle n’a probablement jamais prévue, Saida Neghza incarne une femme qui n’a jamais été freinée par son genre. Elle a érigé une trajectoire inspirante pour les femmes entrepreneures algériennes. Un bémol, cependant: les scandales, les procès et les accusations qui ont entaché son image, mais paradoxalement qui lui fait conserver une aura, celle d’une femme qui s’est faite seule, contre tous les pronostics.