Quinze ans après un retentissant scandale de corruption impliquant 197 millions d’euros de pots-de-vin, l’italien Saipem décroche un nouveau contrat auprès de Sonatrach pour le projet Phosphate Intégré. Un come-back qui questionne : dans l’industrie pétrolière, l’expertise technique pèse-t-elle plus lourd que les casseroles judiciaires ?
L’entreprise italienne Saipem vient de décrocher un nouveau contrat auprès de Sonatrach, cette fois pour le projet Phosphate Intégré destiné à la production d’engrais. Selon le média spécialisé espagnol Marketscreener, “l’adjudication du contrat s’est faite à travers un processus compétitif de FEED dual, qui prévoit que l’activité de conception soit exécutée à la fois par Saipem et par un second opérateur concurrent”. Cette attribution relance les relations commerciales entre les deux groupes, quinze ans après le déclenchement d’un retentissant scandale de corruption qui avait secoué les deux rives de la Méditerranée.
Le processus retenu par Sonatrach pour ce projet stratégique présente une particularité. Comme le précise la note officielle, “Sonatrach sélectionnera la meilleure solution technico-économique entre les deux propositions et procédera à l’attribution directe du contrat EPC (Engineering, Procurement and Construction) pour l’exécution de l’ouvrage projeté”. Cette approche en deux temps permet à la compagnie nationale de minimiser les risques tout en maintenant une concurrence entre les soumissionnaires jusqu’à la phase finale.
L’enjeu économique du projet ne laisse pas indifférent. Il s’agit du premier projet intégré dans le domaine de l’extraction minière et de la production d’engrais en Algérie, avec une capacité prévue de 10 millions de tonnes de phosphates extraits et 6 millions de tonnes d’engrais produits annuellement. Un volume qui pourrait effectivement “contribuer à diversifier l’économie algérienne et à renforcer la position du pays sur le marché mondial des engrais”, comme l’indique la note officielle.
Des antécédents qui questionnent
Pourtant, le retour en grâce de Saipem auprès de Sonatrach interroge au regard du passé tumultueux entre les deux entités. Entre 2007 et 2010, l’entreprise italienne aurait versé quelque 197 millions d’euros de commissions occultes à des responsables algériens pour s’assurer l’attribution de contrats d’une valeur totale de 8 milliards d’euros. Un système de corruption qui impliquait des figures connues : Chakib Khelil, alors ministre de l’Énergie, et l’homme d’affaires Farid Bedjaoui, présenté comme le “facilitateur” de ces arrangements.
Le dossier judiciaire avait connu plusieurs rebondissements. En septembre 2018, la justice italienne condamnait Saipem à 400 000 euros d’amende avec 197 millions d’euros placés sous séquestre, tandis que Pietro Varone et Pietro Tali, respectivement directeur des opérations et ancien administrateur délégué, écopaient de 4 ans et 9 mois de prison ferme chacun. Mais en janvier 2020, la Cour d’appel de Milan acquittait finalement Saipem et l’ensemble des accusés, une décision contre laquelle le parquet a interjeté appel.
Au-delà de l’Algérie, Saipem a collectionné les affaires délicates sur plusieurs continents. Au Nigeria, l’entreprise s’est retrouvée mêlée au scandale Malabu OPL 245 impliquant plus d’un milliard de dollars. Au Brésil, les autorités ont ouvert en 2019 une procédure administrative concernant un contrat Petrobras de 63,4 millions de dollars. Le Kazakhstan, le Koweït et l’Irak ont également donné lieu à des enquêtes pour corruption présumée.
Une réhabilitation progressive
Ces multiples zones d’ombre n’ont visiblement pas dissuadé Sonatrach de renouer avec son ancien partenaire. Il faut dire que l’industrie pétrolière et gazière forme un cercle restreint d’acteurs capables de mener à bien des projets d’envergure. L’expertise technique de Saipem, ses capacités financières et son expérience du terrain algérien pèsent probablement plus lourd que les épisodes judiciaires passés, d’autant que l’entreprise a bénéficié d’acquittements en appel.
Le choix du mécanisme de FEED dual révèle néanmoins une prudence certaine de la part de Sonatrach. En imposant une double conception concurrentielle, la compagnie nationale se donne les moyens de comparer les approches techniques et économiques tout en créant une émulation entre les soumissionnaires. Une manière discrète de maintenir la pression sur un partenaire dont la réputation reste écornée.