Les tueries de masse perpétrées par les Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », après la chute d’El-Fasher, le 26 octobre 2025, ont forcé les médias occidentaux à rompre leur silence sur le rôle des Émirats arabes unis (EAU). Le bilan des massacres est estimé à plusieurs milliers de morts civils. Le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni en urgence le 30 octobre, a exprimé sa « profonde inquiétude » face à « l’escalade » de la violence, évoquant des « informations crédibles d’exécutions de masse ». L’Union européenne a dénoncé la « brutalité » des FSR et promis d’utiliser « tous [ses] outils diplomatiques, y compris les mesures restrictives ». Les officiels occidentaux ne citent pas directement les Émirats, mais leurs médias, eux, commencent à combler ce silence.
Une impunité médiatique longtemps préservée
Longtemps, le silence médiatique a protégé Abou Dhabi. Jusqu’à la mi-2024, les grands médias occidentaux évitaient de pointer du doigt les responsabilités des Émirats dans la guerre civile qui ravage le Soudan depuis avril 2023. Les FSR bénéficiaient d’un soutien financier opaque, attribué à des circuits régionaux informels.
En juin 2024, The Guardian publiait une enquête affirmant que « les Émirats arabes unis ont fourni des armes aux FSR via un réseau logistique complexe impliquant la Libye et le Tchad ». Quelques semaines plus tard, Middle East Eye révélait que l’or soudanais, pillé dans les zones contrôlées par les FSR, était exporté massivement vers Dubaï, principal hub aurifère mondial. « Dubaï, l’un des plus importants centres du commerce de l’or, a offert aux FSR les moyens de convertir cet or en liquidités », soulignait déjà le média en 2023.
Le nerf de la guerre : l’or soudanais
L’or est désormais au cœur de la stratégie émiratie au Soudan. Selon un rapport de l’ONG suisse Swissaid relayé par l’AFP, les Émirats ont importé 29 tonnes d’or soudanais en 2024, contre 17 tonnes en 2023, en pleine guerre. Cette augmentation de près de 70 % en un an reflète l’intensification des opérations de pillage dans les zones sous contrôle des FSR.
Eurasia Review note que « ces flux massifs confirment le rôle central des EAU comme destination de l’or de contrebande » et permettent de financer directement les milices de Hemetti.
Le mécanisme est bien rodé : l’or extrait dans le Darfour et le Kordofan est transporté vers Dubaï, où il est raffiné et transformé avant d’être injecté dans le système bancaire international, offrant ainsi aux FSR un accès rapide à des liquidités pour acheter armes, munitions et logistique.
Selon Middle East Eye ce commerce alimente non seulement la guerre au Soudan mais renforce également la position géopolitique des Émirats dans la région, leur permettant de contrôler indirectement des flux stratégiques tout en consolidant leur rôle de hub mondial du commerce de l’or.
Une couverture médiatique de plus en plus critique
Le ton s’est encore durci après que le gouvernement soudanais a déposé en octobre 2024 une plainte devant la Cour internationale de justice (CIJ), accusant les Émirats de « complicité de génocide » au Darfour. L’Express titrait alors : « Soudan : les Émirats dans le viseur de la justice internationale ».
Même France 24 a diffusé en novembre un reportage évoquant « un soutien militaire opaque mais déterminant des Émirats aux FSR, en violation des embargos internationaux ». Sky News affirme que « de nombreux vols militaires en provenance des Émirats ont été observés dans le Sud-Darfour », citant un officier du renseignement soudanais selon lequel « les EAU sont le principal soutien étranger des FSR ». Quant à Le Monde, il évoque désormais une « indifférence coupable des pays occidentaux » face à « l’implication de leur allié du Golfe dans un conflit marqué par des crimes de masse ». « Les pays occidentaux multiplient les condamnations mais ne font rien », a souligné dans une déclaration au monde Kholood Khair, analyste soudanaise et fondatrice du think tank Confluence Advisory.
Le silence des capitales occidentales
Malgré l’accumulation de preuves et la pression croissante des ONG, les gouvernements occidentaux n’ont toujours pas officiellement condamné les agissements d’Abou Dhabi. Ni Washington, ni Londres, ni Paris n’ont évoqué les Émirats dans leurs déclarations officielles sur le conflit soudanais.
Ce silence s’explique par des liens stratégiques et économiques puissants : les EAU demeurent un partenaire clé dans la lutte antiterroriste, un acheteur majeur d’armement et un investisseur influent dans les grandes économies occidentales. Selon Amnesty, le Royaume-Uni a autorisé des ventes d’équipements militaires aux EAU en pleine guerre, malgré les risques de détournement vers les FSR.
Une pression citoyenne et juridique croissante
Face à cette inertie, la société civile internationale s’organise. Des campagnes comme #BoycottUAE ou #BoycottDubai se multiplient sur les réseaux sociaux.
Des ONG telles que Human Rights Watch et Amnesty International appellent à des sanctions ciblées contre les responsables émiratis impliqués dans le conflit, dénonçant la complicité passive des gouvernements occidentaux.
Vers un tournant diplomatique ?
La question demeure : ce réveil médiatique suffira-t-il à briser l’omerta diplomatique ? Pour l’heure, les Émirats continuent de bénéficier d’une forme d’impunité, protégés par leur statut d’allié stratégique. Mais la pression s’intensifie : plus la presse documente, plus le silence des États devient intenable — et moralement indéfendable.
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