Le système des subventions en Algérie constitue depuis des décennies l’un des principaux mécanismes de soutien aux ménages et de préservation du pouvoir d’achat. Produits alimentaires de base, énergie, carburants, électricité, eau ou encore transports : l’État intervient massivement pour maintenir des prix bas et amortir les chocs économiques et sociaux, notamment pour les catégories les plus vulnérables.
Mais ce modèle, fondé sur un soutien généralisé, représente un coût très élevé pour les finances publiques, évalué à des centaines de milliards de dinars par an, ( plus de 46 milliards de dollars pour la LF 2026 )et bénéficie souvent indistinctement à l’ensemble de la population, y compris aux ménages aisés et à certains acteurs économiques qui n’en ont pas réellement besoin. Une situation qui alimente depuis plusieurs années un débat récurrent sur la nécessité de réformer le système.
Un consensus progressif sur la nécessité d’un ciblage
Économistes, institutions financières, responsables politiques et experts sociaux s’accordent de plus en plus sur un constat : le système actuel, bien qu’essentiel à la cohésion sociale, souffre de distorsions, de gaspillage de ressources et de bénéfices indus.
Plusieurs voix ont ainsi appelé à une transition vers un soutien ciblé, fondé sur des critères sociaux et économiques précis, permettant d’orienter l’aide publique vers les familles réellement éligibles, tout en allégeant la pression sur le budget de l’État et en améliorant l’efficacité des dépenses sociales.
Cette réforme, longtemps repoussée en raison de sa sensibilité sociale, semble aujourd’hui entrer dans une phase opérationnelle.
Un plan opérationnel lancé par le gouvernement
Dans une réponse à une question parlementaire, le ministre des Finances Abdelkrim Bouzred a détaillé jeudi les contours du plan opérationnel engagé par le gouvernement pour réformer le système des subventions. L’objectif affiché est clair : garantir que les aides publiques soient accordées exclusivement à leurs véritables bénéficiaires, dans un cadre transparent et équitable. Ce plan prévoit :
- la mise en place d’un comité de pilotage,
- d’un comité stratégique,
- et de sept commissions spécialisées chargées des aspects techniques, juridiques, organisationnels et communicationnels.
Il repose également sur la numérisation complète et l’interconnexion des bases de données des secteurs concernés, condition jugée indispensable avant toute entrée en vigueur effective du dispositif.
Numérisation, critères d’éligibilité et transferts monétaires
Selon le ministre, la réforme s’inscrit dans une approche progressive visant à passer d’un soutien généralisé à un soutien ciblé, basé sur des critères objectifs tels que : le niveau de revenu, la situation sociale, la nature de l’activité professionnelle et le pouvoir d’achat des ménages. Les bases de données de la solidarité nationale, des caisses de Sécurité sociale, de la direction générale des Impôts, de l’état civil et du registre du commerce seront interconnectées afin d’assurer un ciblage précis et de limiter les fraudes, les doublons et les bénéfices indus.
Le dispositif prévoit également une transition vers des transferts monétaires directs au profit des familles éligibles, parallèlement à une révision progressive des prix des produits subventionnés, dans un cadre maîtrisé.
Une réforme graduelle pour préserver la stabilité sociale
Conscient de la sensibilité du dossier, le gouvernement insiste sur le caractère graduel et encadré de la réforme. L’objectif est de préserver la stabilité du marché, de protéger les catégories vulnérables et de maintenir le caractère social de l’État, tout en améliorant la gouvernance financière et en luttant contre l’inflation.
Une étude préalable, menée en deux phases — diagnostic du système actuel puis conception des mécanismes de ciblage et de compensation monétaire — a servi de base à cette réforme. Celle-ci s’appuie également sur le cadre juridique défini par l’article 188 de la loi de finances 2022, qui encadre le processus de ciblage du soutien public.
Entre justice sociale et soutenabilité budgétaire
« Nous réaffirmons notre volonté de réunir les conditions nécessaires à la réussite de cette réforme dans le cadre d’une approche participative associant l’ensemble des acteurs sociaux et économiques », a souligné le ministre des Finances, insistant sur la nécessité de concilier justice sociale et soutenabilité des finances publiques.
Si sa mise en œuvre reste complexe et politiquement sensible, la réforme des subventions apparaît désormais comme incontournable, dans un contexte de pression budgétaire, de transition énergétique et de recherche d’une meilleure efficacité de l’action publique.





