Jusqu’en 2017, un fait économique significatif est resté peu considéré dans l’économie algérienne – les transferts financiers des travailleurs algériens à l’étranger dépassaient de manière notable la valeur des exportations hors hydrocarbures. Cette réalité, documentée par les travaux du Professeur Mohamed Benzeghioua, révèle une opportunité économique sous-exploitée par l’Algérie.
Entre 2012 et 2017, les transferts des expatriés algériens ont systématiquement dépassé en valeur les exportations hors hydrocarbures. Ces exportations représentaient entre 0,5 % et 0,8 % du PIB national, tandis que les transferts de la diaspora atteignaient généralement 1,1 % du PIB, montant jusqu’à 1,2 % en 2016. Les chiffres de cette année montrent que les transferts ont atteint 1,989 milliard de dollars, contre 1,391 milliard pour les exportations hors hydrocarbures, soit un différentiel de près de 600 millions de dollars. Cela illustre le poids considérable que représente cette source de financement pour l’économie algérienne.
Cependant, un changement de tendance s’observe depuis 2018. Pour la première fois, les exportations hors hydrocarbures (2,218 milliards de dollars) ont dépassé les transferts des expatriés (1,985 milliard). Cette évolution s’explique par une combinaison de facteurs, à savoir la stagnation relative des transferts et la montée en puissance des exportations hors hydrocarbures grâce à une politique de diversification économique engagée à partir de 2020.
Cette tendance s’est confirmée et amplifiée dans les années suivantes. Entre 2021 et 2022, les exportations hors hydrocarbures ont continué leur progression, atteignant respectivement 4,5 milliards de dollars (2,7 % du PIB) et 7 milliards de dollars (4 % du PIB). Pendant ce temps, les transferts des expatriés sont restés stables autour de 1,8 milliard de dollars, représentant environ 1 % du PIB.
Si ce phénomène traduit une évolution positive pour l’économie algérienne, une comparaison régionale révèle toutefois un potentiel inexploité. La comparaison avec le Maroc est instructive. En 2022, les Marocains résidant à l’étranger ont transféré 11,401 milliards de dollars, soit près de six fois plus que les Algériens (1,829 milliard), malgré une communauté algérienne plus nombreuse en France (5 millions contre environ 1,5 million de Marocains).
Ce contraste est encore plus frappant dans les pays d’accueil. En France, principale source de transferts pour les deux pays, les Marocains ont transféré 3,416 milliards de dollars, contre seulement 1,447 milliard pour les Algériens. En Espagne, l’écart est encore plus significatif avec des transferts atteignant 2,495 milliards pour le Maroc contre seulement 52 millions pour l’Algérie.
Cette différence souligne non seulement le potentiel inexploité des transferts algériens mais aussi l’absence d’une stratégie nationale cohérente pour mobiliser ces flux financiers.
Des pistes d’amélioration concrètes
Pour mieux tirer profit des transferts de la diaspora, l’Algérie pourrait entreprendre plusieurs actions. Le professeur Benzeghioua suggère entre autres la modernisation du système bancaire, essentielle selon lui, pour faciliter les transferts via des canaux formels. Cela inclut la réduction des coûts associés aux transferts, l’amélioration des taux de change officiels pour limiter le recours aux circuits informels, et la création d’instruments financiers dédiés à la diaspora comme des comptes épargne spécifiques ou des produits d’investissement attractifs.
Au-delà des aspects bancaires, des mécanismes d’investissements pourraient également être développés. Aussi, propose -t-il, la création de programmes d’investissement dédiés qui permettraient de transformer ces transferts en investissements productifs, avec des fonds spécifiques, des incitations fiscales et un soutien à la création d’entreprises par les membres de la diaspora.
Ces mesures prennent une importance particulière dans le contexte économique actuel. Alors que le prix du pétrole West Texas Internationale (WTI) est tombé sous la barre des 60 dollars, menaçant d’entrainer l’ensemble du marché mondial à la baisse, l’Algérie risque de faire face à des tensions considérables sur ses finances publiques. Cette chute des cours pétroliers – attribuée aux politiques tarifaires américaines et à une augmentation inattendue de la production par l’OPEP+ – met en évidence la vulnérabilité persistante du pays face aux fluctuations du marché énergétique mondial.
Aussi, la mobilisation des transferts financiers de la diaspora constitue-t-elle une ressource complémentaire non négligeable pour renforcer la résilience économique nationale. En atteignant seulement la moitié du niveau des transferts marocains (environ 6 milliards de dollars supplémentaires), l’Algérie pourrait considérablement améliorer ses réserves en devises étrangères et réduire sa dépendance aux hydrocarbures.
Yasser K.