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Transport urbain : après El Harrach, toujours les mêmes discours

Par Djaffer Ouigra
19 août 2025

Le renouvellement du parc de transport urbain divise les responsables sur les coûts et les méthodes. Pendant que les débats s’éternisent entre ministres, les citoyens font face quotidiennement aux défaillances d’un système à bout de souffle.

L’accident tragique d’El Harrach, qui a coûté la vie à 18 personnes vendredi dernier, aurait dû devenir un électrochoc pour une réforme profonde et urgente du secteur du transport urbain en Algérie. Pourtant, le constat est amer : les déclarations officielles se succèdent, les promesses s’empilent, mais les véritables solutions brillent par leur absence.

Le citoyen lambda, lui, continue de payer le prix fort, coincé dans une crise de transport qui ne semble jamais vouloir se dénouer. Le dialogue entre ministres, les « solutions » proposées et les chiffres avancés par l’ancien ministre Ferhat Aït Ali trahissent un secteur englué dans l’inertie et le populisme.

Sayoud : deux discours, zéro avancement concret

Le ministre des Transports, Saïd Sayoud, s’est fait entendre à plusieurs reprises, notamment en décembre dernier et en mai, sans pour autant faire évoluer la situation.

En décembre 2024, il avançait la fabrication imminente de 104 bus par la SNVI, destinés à trois wilayas, un effort public louable mais insignifiant face à l’ampleur du défi. Ces bus devaient commencer à être produits dès avril 2025. Pourtant, ce chiffre reste dérisoire quand on sait que le parc à renouveler dépasse les 84 000 véhicules vieillissants.

Il avait aussi vanté un cadre réglementaire plus souple, avec l’autorisation d’importer des bus de moins de cinq ans, dans le but d’encourager le secteur privé, qui représente 95% du transport urbain. Cette mesure est devenue une réalité grâce à l’application de l’article 112 de la loi de finances 2024, permettant aux opérateurs d’importer des véhicules récents pour renouveler leur flotte.

Cependant, ces décisions restent sans effet palpable sur le terrain, car elles se heurtent à une absence de soutien financier et à une organisation déficiente. Le ministère a bien mis en place un comité intersectoriel rassemblant Finances, Industrie, Commerce et autres acteurs, mais les efforts peinent à dépasser le stade des discours.

Deux propositions de financement ont été soumises pour faciliter l’acquisition de nouveaux bus, mais aucune n’a encore été mise en œuvre concrètement. Et dans l’intervalle, la population patiente, subissant quotidiennement les conséquences d’un réseau en crise, marqué par l’absence de bus, les retards et le chaos.

Ferhat Aït Ali : des chiffres sans fondement et des solutions hors sol

À côté de ce discours officiel, les déclarations de l’ancien ministre Ferhat Aït Ali se démarquent par leur ton alarmiste, mais manquent cruellement de réalisme et d’analyse approfondie. Il avance que le renouvellement du parc coûterait environ 10 milliards de dollars, soit la somme nécessaire pour remplacer 84 000 bus vétustes. Cette estimation, bien que massive, n’est pas étayée par une étude rigoureuse, ni même par une réflexion sur la capacité réelle du pays à financer et gérer un tel programme.

Pour mieux comprendre, quelques données démontrent que ces chiffres méritent d’être revus à la baisse et surtout discutés dans le contexte local. Parmi les bus accessibles sur le marché international, les Higer chinois apparaissent comme une option abordable, avec des prix oscillants entre 25 000 et 30 000 euros l’unité. Si l’on multiplie cela par 84 000 bus, le montant total s’élèverait à environ 2,1 milliards d’euros (soit 2,31 milliards de dollars environ), bien en deçà des 10 milliards annoncés.

À l’opposé, les bus japonais Isuzu, plus solides et fiables sur le long terme, coûtent plus de 40 000 euros pièce, ce qui porterait la facture autour de 3,36 milliards d’euros. Et si l’on vise plus haut en matière de qualité, un bus urbain Mercedes-Benz, robuste et élégant, peut dépasser les 100 000 euros l’unité, voire largement plus selon les modèles. Le renouvellement complet avec des Mercedes coûterait donc plus de 8 milliards d’euros, proche des chiffres avancés par Aït Ali.

Mais au-delà des chiffres, l’ancien ministre soulève un point essentiel : l’incapacité quasi structurelle des transporteurs privés à financer ces renouvellements. En effet, ces derniers vivent une précarité économique parallèle à celle de leurs bus, avec des revenus insuffisants et un accès très limité au crédit bancaire, faute de garanties solides. Cette équation économique rend l’application des décisions ministérielles difficile voire illusoire, sans une véritable réforme du système de financement et de gestion du transport urbain.

La véritable crise : côté usager, chaos de la rue et profits déséquilibrés

Depuis l’accident d’El Harrach, l’absence de réaction concrète a entraîné une crise majeure sur le terrain, particulièrement à Alger. La capitale a vu ses rues se vider de nombreux chauffeurs de bus, excédés par des conditions de travail dégradées, des sanctions trop lourdes et une absence d’encadrement viable. Le résultat ? Une pénurie de transports aggravée, des files d’attente interminables et une colère palpable chez les usagers.

Pendant ce temps, ce sont les applications de transport privé comme Yassir qui tirent leur épingle du jeu, devenant les grandes gagnantes d’une situation déséquilibrée. Leur modèle économique, souvent critiqué pour son coût élevé, profite de la carence du service public et du chaos dans les transports urbains. Le citoyen paie donc un prix bien plus élevé, souvent sans service à la hauteur de ses attentes.

L’administration publique et ses décideurs semblent enfermés dans des postures où la « gestion de crise » se résume à des annonces ponctuelles qui ne font que repousser le problème. Un pouvoir qui n’apprend pas de ses erreurs condamne tout le pays à subir encore de longues années de transport chaotique, jusqu’à ce qu’un nouvel accident ne vienne malheureusement rappeler l’urgence des réformes véritables.

Le secteur des transports urbains en Algérie traverse une période charnière où les intentions officielles côtoient le manque pragmatique de solutions réalistes. Entre discours administratifs, chiffres approximatifs et cris d’alerte non entendus, c’est le citoyen ordinaire qui subit l’inefficacité chronique.

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