Le drame des sept adolescents algériens ayant pris la mer clandestinement pour rejoindre l’Espagne continue de susciter une vague d’indignation et de débats. Derrière ce fait divers tragique, plusieurs voix s’élèvent pour y lire le symptôme d’une crise profonde, qu’elle soit sociale, politique, éducative ou culturelle.
Hosni Kitouni : « Un problème social, culturel et symbolique »
Pour l’historien Hosni Kitouni, l’affaire est révélatrice d’« un véritable problème social, culturel et symbolique, révélateur d’une crise profonde qu’il serait criminel de masquer derrière des discours d’autosatisfaction ou des condamnations stériles ».
Il insiste sur la responsabilité collective : « Cette affaire concerne les familles, l’école, les autorités et, au fond, chacun de nous. Elle révèle une société devenue incapable d’offrir à ses enfants une éducation, un projet de vie, un environnement culturel capables de les enthousiasmer et de les engager. »
Plus qu’un simple fait divers, il y voit « le résultat d’une accumulation de décennies d’aveuglement, de laisser-aller et de laisser-faire », qui conduit aujourd’hui à « une société en délitement, harcelée par la violence, le manque d’hygiène, le désordre et l’irresponsabilité collective ».
Le RCD : « Ce n’est pas un accident, c’est un symbole »
Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), par la voix de son président Atmane Mazouz, est encore plus tranchant.
« Ils étaient huit adolescents. Huit enfants qui, au lieu de préparer la rentrée scolaire, ont choisi l’exil clandestin. (…) Ce drame n’est pas un accident. C’est le symbole vivant d’un pays qui s’effondre par le haut et qui saigne par le bas. »
Pour le RCD, le problème est d’abord politique : « Quand des mineurs deviennent ‘voleurs’ de bateaux et migrants de fortune, ce n’est pas leur moralité qu’il faut interroger, c’est la moralité d’un régime qui a fait de l’abandon une politique et de l’échec une habitude. »
Chaque départ est ainsi perçu comme « un vote silencieux contre ce régime », chaque naufrage comme « une condamnation sans appel de sa politique ».
Ahmed Sadok (MSP) : « L’échec de toutes les institutions »
Du côté du Mouvement de la société pour la paix (MSP), le député Ahmed Sadok parle d’un échec global :
« On ne peut qu’éprouver de la douleur en voyant de jeunes adolescents, nos enfants, se lancer dans l’aventure périlleuse de la traversée de la mer vers l’Espagne. (…) C’est une image qui illustre l’échec de l’ensemble des systèmes et approches adoptés en Algérie, dans toutes leurs articulations et institutions. »
Sadok évoque successivement l’« échec du système social », de « l’école », des « médias », des « structures religieuses » et même des « partis politiques et associations » à encadrer et intégrer la jeunesse.
Il appelle à une réponse institutionnelle immédiate : « Organiser une séance de débat général au Parlement (…) consacrée à la discussion du phénomène de la migration clandestine et à la manière de traiter ses causes profondes, avec des recommandations contraignantes pour l’exécutif. »
Zoubida Berrahou : « Les enfants de Netflix et TikTok »
Pour l’universitaire Zoubida Berrahou, il faut déplacer le regard. Selon elle, ces adolescents ne s’expliquent pas seulement par la faillite nationale, mais aussi par l’imaginaire global qui façonne leur génération.
« Ils ne sont pas nés dans une bulle hors du monde. Ils ont grandi avec Netflix, avec TikTok, avec ces fictions mondialisées qui leur parlent plus que n’importe quel discours officiel. (…) Outer Banks a fait un carton en Algérie. Tous les jeunes la regardent. (…) Qu’est-ce qu’une barque bricolée pour l’Espagne, sinon un remake brut de cet imaginaire ? Ces sept mineurs, eux aussi, se sont rêvés Pogues. »
Elle met en garde contre une lecture uniquement politique : « L’histoire de ces adolescents a aussitôt été interprétée comme la preuve que ‘le pays va mal’. Mais cette lecture simpliste passe à côté de l’essentiel : l’adolescence n’est pas un plébiscite national, c’est un âge universel de transgression, aujourd’hui nourri par des codes culturels mondialisés. »
Un drame aux multiples visages
Entre la lecture politique du RCD, l’approche historique et sociétale de Hosni Kitouni, le plaidoyer institutionnel du MSP et la perspective culturelle de Zoubida Berrahou, le drame des adolescents algériens partis en Espagne apparaît comme un miroir fragmenté d’une crise multiple.
Au-delà de la douleur immédiate, il interroge l’avenir du pays et sa capacité à offrir à sa jeunesse autre chose que la tentation de la fuite.