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Un enjeu fondamental immédiat est de reconstruire les fondations macroéconomiques et structurelles de l’Algérie (1)

Par Abdelrahmi Bessaha
30 juillet 2025

Au-delà des fluctuations du niveau des réserves de change, l’enjeu fondamental pour l’Algérie est la reconstruction de la viabilité des finances publiques, condition indispensable pour rétablir une stabilité macroéconomique durable, relancer la croissance et favoriser la création d’emplois.

L’instabilité actuelle s’enracine dans des déséquilibres budgétaires structurels qui remontent aux années 2000, lorsque l’abondance des recettes pétrolières a permis de financer un modèle de croissance extensif, fortement dépendant des dépenses publiques, sans que les bases fiscales, les institutions budgétaires et les mécanismes d’allocation des ressources ne soient renforcés.

Cette fragilité persistante se manifeste par une dépendance excessive aux hydrocarbures, une faible mobilisation des recettes fiscales, un niveau élevé et rigide de dépenses courantes, une efficacité limitée de l’investissement public, et un mode de financement du déficit budgétaire qui ne concilie ni viabilité ni soutien à l’activité.

Dans ce contexte, les variations du niveau des réserves de change ne sont que l’expression visible de déséquilibres plus profonds. Restaurer la stabilité macroéconomique exige aujourd’hui une stratégie de consolidation budgétaire rigoureuse, ancrée dans un cadre macroéconomique cohérent et appuyée par un programme ambitieux de réformes structurelles, afin de diversifier l’économie, renforcer la productivité, améliorer la compétitivité et faire face aux défis à long terme, notamment la transition énergétique et les pressions démographiques.

Si le présent article se concentre sur les déséquilibres budgétaires et les fragilités macroéconomiques, un second volet analysera les réformes structurelles de moyen terme indispensables à l’émergence d’un nouveau modèle de croissance plus résilient, inclusif et soutenable.

La politique budgétaire en Algérie reste fortement contrainte par la dépendance aux hydrocarbures et par des vulnérabilités structurelles persistantes. 

Cette dépendance expose les finances publiques à la volatilité des prix du pétrole et du gaz, entraînant des politiques procycliques qui aggravent les déséquilibres macroéconomiques. A cela s’ajoutent des faiblesses structurelles majeures : une mobilisation insuffisante des recettes, en raison de taux et de bases d’imposition inadéquats, d’une gouvernance faible des administrations fiscales et douanières (le coût de recouvrement s’élevant à 3,5 DA pour chaque dinar collecté), et d’exonérations fiscales généralisées qui réduisent l’assiette.

Les dépenses courantes restent élevées et rigides, tandis que les dépenses d’investissement souffrent d’une faible efficacité, limitant leur impact sur la croissance. Le financement des déficits, en particulier par création monétaire, accentue les tensions entre viabilité budgétaire et soutien à l’activité.
Ces déséquilibres sont exacerbés par des risques internes et externes : chocs macroéconomiques récurrents, instabilité des prix des hydrocarbures, charges implicites liées aux entreprises publiques, déséquilibre du système de retraites, passifs éventuels des partenariats public-privé et fragilité des finances locales.

Les conséquences sont visibles : des recettes fiscales ordinaires faibles (10,7% du PIB en 2024, contre un potentiel estimé à 15%), une structure fiscale déséquilibrée où l’impôt sur le revenu représente près de 49% des recettes, pénalisant l’effort productif, et un système douanier peu performant, avec un taux de recouvrement inefficace (2,8 milliards de dollars de droits pour 5,5 milliards d’importations).

Le déficit primaire persistant souligne l’absence de marge de manœuvre pour couvrir les charges d’intérêt, notamment sur la période 2025–2027. L’ensemble de ces éléments met en évidence la fragilité croissante de la position budgétaire de l’Etat et souligne l’urgence de réformes structurelles, tant sur le plan des recettes, des dépenses que du mode de financement des déficits.

Une politique de revenus déconnectée de la productivité. 

L’Algérie a bâti sa politique sociale sur un système de subventions universelles (énergie, produits de base, logement), des transferts sociaux étendus et une masse salariale publique élevée. Le salaire minimum national garanti (SNMG) joue également un rôle central en tant qu’outil de soutien au pouvoir d’achat.

Si ces mécanismes ont contribué à la stabilité sociale, ils ont aussi généré de sérieuses inefficiences : mauvaise allocation des ressources, distorsion des signaux de prix, désincitation à l’emploi productif, et dépendance accrue à la rente pétrolière. En 2025, l’ensemble des transferts (hors subventions indirectes) représente près de 16% du PIB et 35% des dépenses publiques, tandis que la masse salariale est de 11,7% du PIB et 26,4% des dépenses totales, illustrant une rigidité budgétaire lourde.

Par ailleurs, la revalorisation récurrente du SNMG, déconnectée des gains de productivité, alimente une hausse structurelle des salaires dans le secteur public et génère des pressions inflationnistes dans le privé, au détriment de la compétitivité.

Ce modèle de redistribution, bien que protecteur à court terme, devient insoutenable dans un contexte de recettes fiscales stagnantes hors hydrocarbures et de contraintes macroéconomiques accrues. Il appelle à une refonte progressive, axée sur un meilleur ciblage des subventions, une réforme de la fonction publique, une gestion du SNMG alignée sur la productivité et une redéfinition des priorités sociales afin d’accroître l’efficacité redistributive et soutenir une croissance plus inclusive. Un système de retraites, pilier de la politique des revenus, en déficit structurel. Le système de retraites en Algérie, fondé sur un régime public par répartition, constitue un élément central de la politique de revenus. Toutefois, il est aujourd’hui confronté à de graves déséquilibres structurels. 

Le rapport cotisants/retraités est en forte dégradation en raison de la faiblesse de l’emploi formel, du vieillissement démographique et du poids persistant du secteur informel. La Caisse nationale des retraites enregistre ainsi un déficit chronique, couvert principalement par des transferts croissants du budget de l’Etat (870 milliards de DA en 2024 et une projection de 951 milliards de DA en 2025). 
Ce déséquilibre fragilise la soutenabilité budgétaire à moyen terme.

Par ailleurs, les pensions sont souvent faibles, mal indexées et ne suivent pas l’évolution réelle du coût de la vie, ce qui accentue l’érosion du pouvoir d’achat des retraités. Sans réforme en profondeur – élargissement de l’assiette de cotisation, ajustement des paramètres d’âge et de durée de cotisation, mécanisme d’indexation plus équitable –, le système de retraites continuera à exercer une pression croissante sur les finances publiques et à limiter l’efficacité de toute politique de revenus équitable et soutenable.

La question du prix de référence fiscal du pétrole : un mécanisme de rationalisation des dépenses qui ne joue pas son rôle d’ajustement des dépenses globales et de création d’une épargne intergénérationnelle.

Le prix budgétaire du pétrole (ou prix de référence) avait initialement pour vocation de jouer un double rôle dans la gestion macroéconomique de l’Algérie : d’une part, favoriser la constitution d’épargne publique lorsque les prix effectifs du pétrole excédaient ce seuil, et d’autre part, faire de la dépense publique une variable d’ajustement, en liant son évolution au niveau des recettes et à l’objectif de déficit.

Ce mécanisme visait à lisser les cycles pétroliers, à renforcer la discipline budgétaire et à préserver une forme d’épargne intergénérationnelle pour financer les investissements futurs ou faire face à des chocs exogènes. Dans la pratique, toutefois, cette règle de prudence a été largement contournée. Les ressources excédentaires générées en période de prix élevés ont été utilisées pour combler les déficits budgétaires, plutôt que pour financer des investissements productifs ou consolider le patrimoine financier de l’État.

En conséquence, l’épargne accumulée, notamment au sein du Fonds de régulation des recettes (FRR), a été rapidement épuisée, sans effet durable sur la transformation structurelle de l’économie. Ce détournement de finalité a vidé de son sens la notion de prix budgétaire du pétrole comme outil de stabilisation, limitant la capacité de l’Etat à faire face à une volatilité persistante des recettes et à financer une transition vers une croissance hors hydrocarbures.

La faiblesse et/ou le manque des outils de pilotage de l’économie favorise la réactivité.

L’économie algérienne pâtit d’un déficit structurel en outils de gestion macroéconomique. L’absence d’un cadre cohérent à moyen terme, intégrant croissance, inflation, stabilité extérieure et soutenabilité budgétaire, réduit considérablement la capacité des autorités à anticiper, arbitrer et corriger les déséquilibres. 

À cela s’ajoute l’absence d’un cadre budgétaire pluriannuel crédible, pourtant essentiel pour hiérarchiser les dépenses, ancrer les politiques fiscales et renforcer la discipline budgétaire. Par ailleurs, le manque ou l’obsolescence d’indicateurs clés – tels que les comptes consolidés des administrations publiques, les coûts unitaires, l’endettement net, les prévisions macro-budgétaires et les indicateurs de compétitivité – empêche une évaluation rigoureuse des performances économiques.

Cette opacité freine l’analyse prospective, complique la formulation de diagnostics précis et affaiblit l’efficacité des politiques économiques. Ce déficit de cadrage stratégique empêche également d’apprendre des cycles passés, de mesurer les écarts aux objectifs, et de procéder aux ajustements nécessaires en temps utile. La gouvernance économique reste donc largement réactive, peu orientée vers le moyen terme, ce qui accroît la vulnérabilité face aux chocs internes et externes.

Une mesure obsolète de l’inflation nuit à l’efficacité des politiques publiques appuyant la politique budgétaire : 

L’ampleur réelle de l’inflation en Algérie est sous-estimée en raison d’un indice des prix à la consommation (IPC) obsolète, basé sur l’année 2001. Ce dernier ne reflète ni l’évolution des habitudes de consommation, ni l’introduction de nouveaux biens et services, ni les disparités régionales ou les effets des subventions, pénuries et marchés parallèles.

Cette sous-évaluation affaiblit la crédibilité des politiques publiques, fausse la lecture du pouvoir d’achat et limite l’efficacité de la réponse monétaire. Une réforme urgente de la méthodologie statistique est indispensable pour rétablir la transparence économique et renforcer le pilotage des politiques publiques.

Le désalignement des politiques macroéconomiques et leurs coûts. 

L’Algérie fait face à des déséquilibres macroéconomiques croissants, alimentés par un cadre budgétaire fragilisé, l’absence d’une stratégie de consolidation crédible et une coordination insuffisante entre politiques budgétaire, monétaire et de change. 
Depuis l’arrêt du financement non conventionnel en 2019 et l’épuisement du Fonds de régulation des recettes, le financement récurrent des déficits par des ressources domestiques a fait grimper la dette intérieure au-delà de 60% du PIB en 2025. 

Majoritairement détenue par la Banque d’Algérie et les institutions publiques, cette dette exerce une pression sur la liquidité bancaire, restreint l’accès au crédit privé, renchérit le coût du capital et freine l’investissement productif. La politique budgétaire demeure orientée vers des dépenses courantes, subventions généralisées et transferts sociaux, au détriment de l’investissement, dans un contexte marqué par l’absence de ciblage et de mécanismes d’évaluation. 

Ce déséquilibre affaiblit la productivité globale des facteurs et réduit le potentiel de croissance. Parallèlement, une politique monétaire accommodante et une indexation implicite des salaires entretiennent une inflation structurelle non liée à des gains de productivité, érodant le pouvoir d’achat et alimentant les tensions sociales. Le régime de change, rigide et surévalué, déconnecté des fondamentaux économiques, accentue les distorsions : perte de compétitivité hors hydrocarbures, creusement du déficit extérieur, stimulation des importations, affaiblissement des réserves de change et expansion d’un marché parallèle profondément enraciné.

L’incertitude fiscale et la hausse de la prime de risque pèsent sur le financement externe, dissuadent l’investissement privé et limitent les marges de manœuvre pour les réformes. Enfin, la contraction des dépenses sociales et d’infrastructure compromet la capacité de l’État à répondre aux défis démographiques et sociaux, menaçant la résilience et l’inclusivité du développement.

Dans ce contexte, l’identification rigoureuse des vulnérabilités et des risques budgétaires est essentielle pour restaurer la soutenabilité des finances publiques et bâtir une trajectoire de croissance viable. En Algérie, où l’Etat joue un rôle économique prépondérant – représentant 46% de la valeur ajoutée et contrôlant près de 400 entités publiques – cette démarche n’est pas technique mais stratégique. Elle permet de recentrer le rôle de l’Etat, d’optimiser l’allocation des ressources rares et de préparer une réforme structurelle en profondeur. Sans ce diagnostic lucide, toute stabilisation budgétaire reste partielle et tout effort de transformation, illusoire. Ces enjeux feront l’objet d’un approfondissement dans le prochain article.

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