L’université d’été du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) a finalement pu se tenir, ce jeudi 10 octobre, dans l’enceinte de la Mutuelle des travailleurs des matériaux de construction de Zéralda, à l’ouest d’Alger. L’événement annuel, menacé d’annulation après un refus administratif de sa tenue initialement prévue à Melbou, dans la wilaya de Béjaïa, a été sauvé in extremis grâce à l’obtention tardive d’une autorisation.
La session inaugurale a été ouverte par le discours du secrétaire général du parti, Atmane Mazouz, qui a salué la persévérance des militants et rappelé la vocation de ce rendez-vous annuel : maintenir un espace de réflexion politique et intellectuelle indépendant, en dépit des entraves bureaucratiques.
C’est dans ce climat de mobilisation retrouvée qu’est intervenue la conférence inaugurale du journaliste et analyste économique El Kadi Ihsane, co-fondateur de Maghreb Émergent, autour du thème : « Pourquoi la diversification économique est-elle d’abord un chantier politique ? ». Un sujet brûlant d’actualité dans un contexte où la dépendance pétro-gazière de l’économie algérienne reste plus que jamais au centre du débat public.
Le constat d’un échec historique
Dans son introduction, El Kadi Ihsane a replacé la question de la diversification au cœur de l’histoire économique du régime algérien. Depuis plus de quarante ans, a-t-il rappelé, la diversification est un objectif officiel, réaffirmé dans tous les discours présidentiels et gouvernementaux, sans jamais se traduire par un changement structurel durable. « L’Algérie reste, en 2025, un pays qui ne réussi pas à faire décoller une économie significativement émancipée des revenus énergétiques comme l’ont réussi d’autres pays anciennement pétrolier », a-t-il résumé, soulignant la constance des indicateurs qui traduisent cet échec relatif.
Le conférencier s’est appuyé sur une série de chiffres clés : la part de la fiscalité pétro-gazière dans les recettes budgétaires nationales encore supérieure à 40 %, les exportations hors hydrocarbures inférieures à 15 % du total, et la part de l’industrie manufacturière dans le PIB ne dépasse pas 6 %, contre plus de 13 % dans les années 1980. Si on exclu la tentative des réformes de marché de 1989-1991, même les conjonctures suggérant le déclin des revenus – soit à cause des volumes (1983) soit à cause des prix (2009 et 2014) – n’ont pas réussi à enclencher un mouvement sérieux vers la diversification.
Pour renforcer son argument, Ihsane El Kadi a procédé à une comparaison internationale. Les pays qui ont réussi leur transition – le Mexique, l’Indonésie ou la Malaisie – ont su réduire drastiquement la part des hydrocarbures dans leurs exportations et dans leurs recettes budgétaires, grâce à une industrialisation soutenue et à la mise en place de politiques fiscales et institutionnelles cohérentes. À l’inverse, l’Algérie, le Nigéria ou le Venezuela illustrent la difficulté des régimes rentiers à sortir d’un modèle où la ressource naturelle structure le rapport entre l’État et la société.
Diversifier, c’est accepter de modifier les équilibres politiques
Au-delà du diagnostic économique, le journaliste a souligné la dimension fondamentalement politique du processus de diversification. « Une économie diversifiée engage une lame de fond dans le modèle social un peu comme la scolarisation des filles et le niveau éducatif d’une population », a-t-il expliqué. Cela implique de laisser s’autonomiser les acteurs sociaux et économiques, d’instaurer un contrat fiscal citoyen fondé sur la redevabilité, et de rompre avec le principe de redistribution patrimoniale verticale de la rente qui tente de mettre la société en situation de dépendance.
Selon El Kadi Ihsane, « derrière la diversification économique existe, pour le bloc social dominant, un risque démocratique : celui de perdre le contrôle du monopole du pouvoir politique ». En d’autres termes, accepter une économie ouverte et pluraliste revient à accepter la concurrence, la transparence et la participation — autant de notions qui érodent le système de captation et de redistribution sur lequel repose la stabilité politique du régime.
C’est pourquoi, selon lui, l’échec de la diversification n’est pas seulement un accident économique, mais la conséquence logique d’un choix politique non dit de conservation du pouvoir.
Une diversification de façade
Dans sa conclusion, le conférencier a mis en perspective les promesses actuelles du pouvoir. Le président Abdelmadjid Tebboune évoque régulièrement l’ambition de se diversifier économiquement et de fixe des objectifs balises de cette diversification. Notamment celle de porter le PIB national à 400 milliards USD d’ici 2027, de doubler les exportations hors hydrocarbures à 13 milliards USD et d’augmenter la part industrielle du PIB à 15 %.
Mais pour El Kadi Ihsane, ces annonces relèvent davantage de la communication politique que d’une stratégie cohérente : « Le plan d’action demeure une prolongation du modèle extractif », a-t-il affirmé, citant les projets de mise en valeur du fer de Gara Djibilet, du phosphate et du plomb-zinc de Tala Hamza, finalement les seuls présentés concrètement comme les nouveaux piliers d’une croisssnxe qui, au fond, ne compte pas tant que cela sur les PME-PMI qui assurent la diversification industrielle. Le modèle est toujours fondée sur l’exploitation de ressources naturelles. El Kadi Ihsane a prévenu que sur cette voie l’étape était déjà indiquée : l’exploitation du gaz de schiste probablement par les américains Exxon et Chevron.
Un débat de militants clairvoyants
Le débat qui a suivi son intervention a été particulièrement riche. Plusieurs participants ont interrogé la possibilité de bâtir un pacte politique autour de la diversification, en plaidant pour un retour à la planification stratégique et à un État-stratège capable de mobiliser les ressources nationales hors du seul secteur extractif.
Entre réalisme économique et exigence démocratique, la conférence inaugurale de l’université d’été du RCD a ainsi ouvert un espace de discussion sur la nature même du développement algérien : non pas un simple ajustement de politique économique, mais une transformation en profondeur du contrat politique national. L’université du RCD s’est poursuivi durant tout le weekend.