Spécialiste des questions de défense nationale, Akram Kharief nous livre dans cet entretien à Maghreb Emergent son analyse des dernières évolutions au nord du Mali avec le retrait des troupes russes de Wagner.
ME : Le retrait de Wagner du Mali intervient au moment où le doute commence à s’installer quant à l’efficacité de la démarche algérienne au plan géopolitique. Peut-on considérer cette évolution comme un succès pour l’Algérie ?
A.KH : C’est indéniablement un succès diplomatique pour Alger. Les pressions algériennes sur Moscou ont fini par porter leurs fruits, même si cela a pris du temps. La difficulté résidait moins dans l’efficacité de notre approche que dans le contrôle limité que la Russie exerçait sur Wagner. Ce retrait démontre la volonté russe de préserver ses relations stratégiques avec l’Algérie. Cependant, le véritable objectif reste la réintégration du Mali dans le processus des accords d’Alger. C’est là que se mesurera le succès final de notre diplomatie.
Cela nécessite-t-il un changement de régime à Bamako ?
Pas nécessairement. Il s’agit plutôt de maintenir la pression sur Moscou pour qu’elle influence Bamako dans le bon sens. La Russie peut jouer un rôle déterminant pour convaincre les autorités maliennes de revenir à la table des négociations.
Lors du sommet Union africaine-Union européenne, les Européens ont clairement affiché leur soutien à l’Algérie dans le dossier malien. Avec ce repositionnement russe, voyez-vous émerger une solution au nord du Mali et plus largement au Sahel ?
L’Europe considère effectivement l’Algérie comme la seule puissance régionale légitime pour stabiliser cette partie du Sahel. Si la Russie s’aligne sur cette vision, nous pourrions assister à une convergence favorable à une solution politique.
Le problème, c’est que d’autres acteurs jouent les trouble-fêtes. La Turquie et les Émirats arabes unis exploitent le chaos pour leurs intérêts économiques, notamment l’extraction illégale d’or au Nord-Mali. Quant au Maroc, il cherche à fixer nos forces armées dans le Sud pour détourner notre attention du Sahara occidental.
Comment expliquer l’attitude de la Turquie et des Émirats, pourtant partenaires économiques de l’Algérie ?
Ces pays adoptent une approche purement transactionnelle. Ils vendent des armes et achètent des matières premières dans un contexte très profitable. L’isolement international du Mali facilite cette prédation néocoloniale.
Leur proximité avec l’Algérie ne les empêche nullement de poursuivre leurs intérêts au Mali. Notre attitude trop légaliste et formelle ne les décourage pas suffisamment. Il existe un vide géopolitique au Mali que nous devons combler, faute de quoi d’autres s’en chargeront.
Le retour aux accords d’Alger reste-t-il réaliste ?
Absolument. Ces accords offrent un cadre pertinent en distinguant clairement groupes terroristes et mouvements communautaires légitimes. L’enjeu est politique et économique : permettre un partage équitable des ressources.
Une réconciliation entre Bamako et les groupes du Nord profiterait à tous. Le gouvernement malien accéderait enfin aux richesses de la région tout en s’alliant des partenaires efficaces contre le terrorisme. C’est du gagnant-gagnant.
Donc Bamako a perdu le contrôle des richesses du nord. n’est-ce pas ?
En réalité, Bamako n’a jamais vraiment contrôlé ces ressources. Le pouvoir central malien n’a jamais eu d’emprise effective sur cette région. La guerre actuelle ne change pas fondamentalement cette donne historique.
Qui a intérêt aujourd’hui à maintenir l’instabilité et l’islamisme radical au Sahel ?
Les groupes djihadistes ont acquis une autonomie financière considérable. Ils sont devenus trop puissants et trop enracinés pour dépendre d’un soutien extérieur. Leur économie de guerre s’autofinance désormais. Cette autonomisation rend la lutte plus complexe car nous ne pouvons plus espérer les affaiblir en tarissant leurs sources de financement externes.
La nomination du général Hassane à la tête de la sécurité intérieure s’inscrit-elle dans cette stratégie face au Mali ?
Cette nomination traduit effectivement une anticipation des risques. Face aux lenteurs russes pour rappeler Wagner, l’Algérie a durci sa posture et se prépare à tous les scénarios.
Les deux approches – diplomatique et sécuritaire – évoluent en parallèle. Notre patience a des limites, et nous nous donnons les moyens d’agir si la voie diplomatique s’avérait insuffisante.