Depuis sa création fulgurante en 2017 à Alger, Yassir incarne mieux que toute autre start-up la réussite technologique de l’Algérie. Avec 193 millions de dollars levés en sept ans et une présence dans 30 wilayas, la super app a su gagner la confiance des investisseurs de la trempe de BOND, le fonds de la « Reine d’Internet » Mary Meeker.
Cette reconnaissance internationale fait de Yassir « la start-up la plus valorisée d’Afrique du Nord » selon TechCrunch, dans un écosystème où rares sont les champions à émerger. Mais derrière cette success story fleurissent des interrogations : la croissance effrénée du champion algérien est-elle vraiment pérenne ?
La galaxie de services Yassir : bien plus qu’une application de VTC
Si Yassir s’est d’abord imposée à travers la réservation de voitures avec chauffeur, elle propose aujourd’hui un véritable écosystème numérique :
- Yassir VTC : le fer de lance et moteur de croissance, offrant des trajets économiques, premium, chrono, des solutions pour groupes/familles et même un service Yassir Women, dans toutes les grandes villes, sur un réseau de milliers de chauffeurs partenaires.
- Yassir Express : livraison rapide de plats issus d’une multitude de restaurants.
- Yassir Market : livraison d’épicerie et produits du quotidien à domicile ou au bureau, pensée pour les citadins pressés.
- Yassir Pay : paiements, portefeuille électronique, promotions, Yassir a aussi investi le marché de la fintech malgré un cadre réglementaire encore peu favorable.
- Services B2B et logistique : gestion de flotte et solutions de mobilité pour les entreprises.
Mais si la diversification alimente la croissance, la notoriété de Yassir reste avant toute portée par son activité de VTC.
VTC : la pierre angulaire, mais à quel prix ?
L’activité de transport à la demande a permis à Yassir de conquérir le marché urbain et de transformer les usages de la mobilité en Algérie. Chaque jour, des dizaines de milliers d’Algériens commandent une course : de la formule économique à la réservation premium, en passant par le service réservé aux femmes qui répond à des attentes spécifiques de sécurité. Cette conquête, entamée à Alger, s’est étendue à toutes les régions du pays grâce à une stratégie d’expansion méthodique, couvrant aujourd’hui la quasi-totalité des grandes villes.
La base utilisateurs a suivi cette expansion avec un bond de 2,1 à 6 millions d’utilisateurs en quatre ans, équivalant à un taux de croissance annuel composé d’environ 30%. Parallèlement, le vivier de chauffeurs a été multiplié par cinq, passant de 12.000 en 2020 à 60.000 en 2024 selon les estimations ministérielles, une densité d’offre qui permet d’améliorer les temps de prise en charge, mais soulève des questions sur la qualité du recrutement.
Quand l’hyper-croissance teste la solidité opérationnelle
L’afflux massif de chauffeurs depuis 2020 s’accompagne d’une détérioration notable de la qualité de service. Sur LinkedIn, des utilisatrices influentes dénoncent publiquement « la médiocrité des chauffeurs Yassir et Heetch », pointant des véhicules sales, des chauffeurs impolis et des comportements inappropriés. Cette critique, relayée par des milliers d’abonnés, illustre l’écart grandissant entre les standards attendus et la réalité terrain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : près de 200 millions de dollars de fonds levés depuis 2019, une multiplication par 11,5 des capitaux en trois ans, et une présence qui fait figure d’exception dans la tech du Maghreb. Pourtant, la rentabilité tarde à se concrétiser.
Un vide juridique persistant
Malgré son succès, Yassir opère dans un contexte où la réglementation spécifique au VTC reste en gestation. Ce flou juridique place aussi bien la start-up que ses chauffeurs dans une forme d’insécurité : contrôles policiers et amendes, incertitudes fiscales, et absence de statut légal stable fragilisent le modèle et le quotidien des intermédiaires du transport.
Sécurité et qualité de service en question
La montée des incidents sécuritaires liés dans la presse a parfois terni l’image du service. Si la plateforme investit dans la formation des chauffeurs et la sécurisation des cours, la qualité de service varie encore selon les régions et la densité du réseau, alimentant frustrations et débats sur la fiabilité du modèle à forte croissance.
Tensions avec les taxis traditionnels
La résilience des taxis classiques, qui dénoncent une concurrence perçue comme déloyale, constitue un autre facteur d’instabilité. Grèves, manifestations et altercations entre conducteurs illustrent les résistances à l’intégration de modèles numériques dans un secteur historiquement très régulé.
Entre prouesse et incertitudes : l’heure du grand test
Entre expansion spectaculaire, diversification ambitieuse et pressions sur la rentabilité, Yassir aborde un tournant décisif en 2025. L’entreprise doit convaincre qu’elle peut transformer son succès financier en stabilité opérationnelle et s’imposer durablement face aux défis réglementaires, de qualité et de sécurité.
Si la super-app algérienne réussit à surmonter ces obstacles, elle pourrait tracer la voie pour l’ensemble de la tech maghrébine, en devenant le premier véritable champion régional du numérique. Le voyage ne fait que commencer.