L’Algérie veut faire des start-up un moteur de diversification économique. Mais loin de la capitale, les incubateurs promis par les pouvoirs publics restent trop rares pour transformer l’essai.
En 2025, le pays recense 7 800 jeunes entreprises innovantes, dont 2 300 labellisées. Sur le papier, la dynamique semble installée. Dans les faits, plus de 70 % des start-up se concentrent dans la région centre -Alger, Blida, Tipaza -tandis que les Hauts-Plateaux et le Sud n’en accueillent pas plus de 15 % à eux deux. Sur les 130 incubateurs officiellement enregistrés, près d’une centaine dépendent d’universités ou d’institutions publiques, et la grande majorité se situe dans la capitale. Les structures privées, une trentaine seulement, restent marginales dans les régions intérieures.
Des financements sous tension et très centralisés
Le Fonds algérien des start-up, doté en 2022 d’un capital modeste de 1,2 milliard de dinars (8,7 millions d’euros), peine à répondre à la demande croissante des porteurs de projets hors d’Alger. Selon les chiffres communiqués, près de 80 % des financements attribués ces trois dernières années ont bénéficié à des entreprises implantées à Alger, Oran ou Constantine.
Ce cloisonnement territorial freine le développement économique local et accentue les inégalités régionales. Dans les wilayas périphériques, de nombreux entrepreneurs doivent recourir à l’autofinancement ou renoncer. Trois ans après leur création, 60 % des start-up de la capitale survivent, contre moins de 30 % dans les régions.
À l’échelle du Maghreb, l’Algérie accuse un retard significatif. Entre 2019 et 2022, ses start-up ont levé 35 millions de dollars, contre 47 millions au Maroc, 149 millions en Tunisie et 1,25 milliard en Égypte.
Des infrastructures présentes mais un écosystème absent
L’Algérie ne manque pas d’infrastructures. Le pays dispose officiellement de 124 incubateurs universitaires, mais la plupart se limitent à un rôle administratif, faute de budgets et d’équipes qualifiées. Les technopoles de Sidi Abdallah, près d’Alger, ou d’Oran Es-Sénia, restent sous-exploitées, sans stratégie claire pour y attirer des start-up.
En 2024, le nombre de projets universitaires innovants labellisés est passé de 6 000 à 9 000. Mais cette progression a surtout profité aux incubateurs d’Annaba, Oran et Alger, confirmant le poids des grandes villes. Les territoires périphériques demeurent à l’écart de ce boom, faute de relais financiers et institutionnels. « Ce n’est pas un problème de géographie, mais de gouvernance et de flux financiers », résume un spécialiste de l’innovation.
Des signaux positifs mais isolés
Quelques initiatives récentes laissent entrevoir une volonté de corriger ce déséquilibre. En juillet 2024, à Ouargla, SLB Algérie a inauguré, en partenariat avec l’Université Kasdi Merbah et l’incubateur panafricain IncubMe, le « Hub of Excellence », premier incubateur régional dédié au secteur de l’énergie.
Doté d’un amphithéâtre, d’espaces de formation et d’un studio de création, le Hub entend proposer des programmes d’incubation sur mesure et accueillir des porteurs de projets issus de la région mais aussi du reste du pays. « Il incarne un engagement sociétal et économique de SLB », avait souligné son directeur général en Algérie, Mohamed Said Si Abderrahmane, en insistant sur l’ambition de faire émerger des projets liés à l’énergie, à la technologie, à la transition énergétique ou encore à l’agriculture.
Pour autant, ce type d’initiative demeure rare dans le Sud algérien. Le Hub of Excellence s’annonce comme une vitrine prometteuse, mais il reste l’exception plus que la règle dans un paysage où la majorité des incubateurs et des financements continuent de se concentrer à Alger et sur le littoral.
Le poids d’un pilotage centralisé
La centralisation n’est pas une fatalité. Au Maroc, Casablanca concentre les financements, mais Rabat, Fès et Marrakech abritent des incubateurs actifs. En Tunisie, Tunis domine, mais Sousse et Sfax se sont imposées comme pôles régionaux grâce à une politique volontariste de décentralisation. L’Algérie, elle, reste prisonnière d’un modèle pensé depuis Alger, au risque de transformer ses incubateurs en vitrines sans impact sur les territoires.
Les autorités assurent vouloir corriger ces déséquilibres. Le désormais ancien ministère de l’économie de la connaissance, Yacine El Mehdi Oualid, avait évoqué en juin 2024, un relèvement du capital du Fonds algérien des start-up, et l’étude d’incitations fiscales pour orienter l’investissement privé vers les régions. Mais pour l’heure, ces annonces restent sans traduction concrète.
Mais les limites du modèle ne sont pas seulement géographiques. Six ans après le lancement de la politique nationale des start-up, le gouvernement reconnaît implicitement l’échec partiel d’une stratégie centrée sur les aides publiques et les commandes domestiques. Le ministre de l’économie de la connaissance, en déplacement à Mostaganem en juin 2025, avait ainsi appelé à miser désormais sur l’exportation de services numériques. Ce virage acte en creux la fragilité d’un écosystème qui peine à monétiser ses solutions et reste trop dépendant de la dépense publique.