Chaque rentrée scolaire en Algérie relance la même équation : des millions de manuels imprimés et distribués par l’État, mais une crise qui refuse de disparaître. En dépit des efforts colossaux de l’Office national des publications scolaires (ONPS), dont les équipes produisent chaque année entre 75 et 80 millions de livres, la scène reste inchangée : pénuries locales, files d’attente interminables et flambée des prix dans l’informel.
Un effort colossal de l’État, mais une crise qui perdure
« Nous avons imprimé plus de 80 millions d’exemplaires pour la rentrée 2025-2026, répartis sur 1 466 bibliothèques agréées et 37 points de vente officiels à travers les 58 wilayas », explique Mira Yacine, directeur de la communication à l’ONPS. Des foires spéciales sont régulièrement organisées, et des manuels en format PDF sont disponibles sur le site officiel pour faciliter l’accès numérique.
L’État ne ménage pas ses efforts : distribution gratuite pour les familles démunies, impression de nouveaux stocks avant même la fin de la saison en cours, investissements dans des équipements modernes, parfois importés, pour garantir une qualité d’impression constante. De plus, les prix des manuels sont gelés depuis 2018, malgré la flambée internationale du papier et de l’encre.
Pourtant, en dépit de ce dispositif massif, le marché officiel peine à absorber la demande et laisse la porte grande ouverte aux dérives.
Quand l’informel dicte sa loi
L’État a fourni gratuitement des manuels aux élèves issus de familles défavorisées. Dans certains établissements scolaires, les élèves disposent même de manuels, mais uniquement sur place : ils n’ont pas le droit de les emporter à la maison. Cette mesure oblige parfois les familles à se procurer deux exemplaires par matière, un à l’école et un autre à domicile.
Dans certaines régions du pays, un manuel affiché officiellement à 240 dinars se revend dans l’informel à 400 dinars. Un écart de 160 dinars, qui pèse lourdement sur le budget des ménages. Plus préoccupant encore : dans certains établissements, la distribution n’avait pas encore commencé que des exemplaires circulaient déjà sur les étals des marchés parallèles.
Face à cette situation, de nombreuses familles adoptent des stratégies de survie : recours aux livres d’occasion, échanges entre parents ou achat partiel des manuels les plus urgents pour leurs enfants. Le marché de l’occasion, en pleine croissance, repose sur un principe simple : échanger les manuels de l’année écoulée contre ceux de l’année en cours, moyennant un petit supplément au vendeur.
La vigilance des autorités, mais un terrain miné
« La loi interdit de vendre le manuel plus cher que le prix affiché, et nos équipes de contrôle suivent de près ces dérives », insiste Mira Yacine. Le ministère du Commerce exige que chaque librairie agréée affiche les prix réglementés et procède à des inspections régulières.
Mais l’informel demeure insaisissable. Ses circuits rapides, sa proximité avec les familles et sa capacité à anticiper les pénuries en font un acteur incontournable, au détriment des efforts publics. Le paradoxe est flagrant : plus l’État imprime et distribue, plus l’informel trouve des brèches à exploiter.
