Algérie : 1 348 milliards de dinars à la Poste, les banques boudées

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1 348 milliards de dinars dorment à la Poste : pourquoi les banques n’attirent pas l’épargne

Par Yasser K
15 septembre 2025
Avec plus de 1 348 milliards de dinars déposés à Algérie Poste, les ménages continuent de privilégier le service public postal au détriment des banques commerciales.

Avec 1 348 milliards de dinars d’épargne déposés à Algérie Poste, les banques commerciales peinent toujours à séduire les ménages malgré des taux d’intérêt annoncés jusqu’à 4,8 %.

La Banque d’Algérie a récemment publié ses nouveaux taux sur les dépôts en devises : 4,3 % sur le dollar à un an, 3,9 % sur la livre sterling, 2,5 % sur l’euro et 4,8 % sur la couronne norvégienne. Sur le papier, cela paraît plus intéressant qu’il y a quelques années. Mais dans la réalité, le calcul reste défavorable. L’inflation, qui atteignait 5,3 % en 2024, a reculé en 2025 mais reste autour de 3,5 % selon l’ONS. Même à 4 %, le rendement réel est à peine positif, et pour les ménages, la perception est différente : la hausse du coût de la vie reste vécue comme beaucoup plus forte, notamment sur l’alimentaire et les biens importés.

L’écart entre le taux officiel et le marché parallèle achève de décourager les épargnants. En 2025, l’euro s’échange autour de 260 à 264 dinars sur le marché noir, contre seulement 152 dinars au taux officiel. Le dollar suit la même logique : environ 225 à 230 dinars dans la rue, contre 129 dinars officiellement. Dans ces conditions, celui qui détient 1 000 € ou 1 000 $ a tout intérêt à rester en liquide plutôt que de déposer en banque. L’euro est en plus volontairement sous-rémunéré, limité à 2,5 %, pour éviter une euroïsation de l’épargne et protéger les réserves de change. La couronne norvégienne, quasi absente des dépôts des Algériens, peut être alignée sur ses taux internationaux sans risque : les 4,8 % affichés tiennent davantage du symbole que de la réalité.

Une bancarisation qui progresse trop lentement

La bancarisation progresse trop lentement. En 2024, seulement 44 % des adultes détenaient un compte bancaire, contre près de 70 % en Tunisie et plus de 60 % au Maroc. La BDL a bien enregistré une hausse de 5 % de ses comptes entre 2023 et 2024, et ses dépôts ont augmenté de 15 %, atteignant 1 375 milliards de dinars. Mais ce progrès reste isolé.

En parallèle, Algérie Poste concentre une masse d’épargne considérable : 1 348 milliards de dinars à fin 2023, avec plus de 21 millions de comptes actifs. Selon le rapport annuel 2023 de la Banque d’Algérie, les dépôts aux CCP et au Trésor atteignent même 2 126,1 milliards de dinars. La différence avec le chiffre de 1 348 milliards, souvent repris par la presse économique, tient au périmètre : l’un englobe l’ensemble des dépôts postaux et du Trésor, l’autre correspond à une partie plus restreinte gérée directement par Algérie Poste. Mais quelle que soit la référence, le constat reste le même : une masse d’épargne échappe toujours aux banques commerciales.

Le cœur du problème : la confiance

« L’Algérien préfère cacher son argent, acheter ou construire des villas, plutôt que de le confier à une banque », constate Samira Belkaid, consultante en Finances. Elle souligne que tant que le rendement réel restera faible et que l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle sera aussi large, il est rationnel de garder son argent hors du système. Elle ajoute que les scandales passés – on se souvient tous de l’affaire Khalifa Bank-, les recapitalisations à répétition et la bureaucratie nourrissent la conviction que l’argent confié aux banques ne profite pas à l’épargnant. Enfin, une dimension culturelle et religieuse pèse lourd : « Depuis des décennies, un discours dominant a réduit l’épargne bancaire à un acte de péché. Recevoir un intérêt, c’est de la riba, donc haram. » La finance islamique, introduite comme alternative, n’a pas changé cette perception, car elle est perçue comme un habillage du système classique.

L’Algérie ne manque pas d’argent, elle manque de confiance. Tant que l’euro sera mieux valorisé dans la rue qu’au guichet, que les dépôts en dinars resteront inférieurs à l’inflation et que le crédit privé ne se développera pas, les taux affichés ne suffiront pas. Les solutions sont connues : offrir de vrais rendements positifs, réduire l’écart de change, simplifier l’accès aux services et sécuriser les dépôts. Sans ce « paquet confiance », 1 348 milliards de dinars continueront de dormir à la Poste, pendant que les banques afficheront des pourcentages que personne ne prend au sérieux.

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