La Banque d’Algérie vient de publier l’Instruction n°06, le 17 août 2025. Ce texte définit les règles d’activité des prestataires de services de paiement (PSP) avec une restriction majeure : tous les comptes doivent être exclusivement libellés en dinars algériens. Cette réglementation complète la réforme anti-blanchiment adoptée en 2023 et renforcée cette année, tout en imposant un contrôle monétaire strict qui distingue l’Algérie des pratiques internationales.
Le texte établit un cadre précis pour l’ouverture et la gestion des comptes de paiement. Ces comptes se distinguent des comptes bancaires classiques par leur fonctionnement spécifique et leur limitation à la devise nationale. La Banque d’Algérie a prévu trois niveaux, chacun avec ses plafonds et ses exigences d’identification.
Le niveau 1 limite le solde à 100 000 dinars algériens. L’ouverture ne demande qu’une vérification d’identité de base. Le niveau 2 porte le plafond à 500 000 dinars mais exige des justificatifs supplémentaires. Le niveau 3 autorise jusqu’à 1 million de dinars. En contrepartie, il impose une vérification stricte avec preuves de revenus et authentification par visioconférence obligatoires, le tout exclusivement dans la monnaie nationale.
Devise unique et contrôle des capitaux
L’instruction repose sur trois principes fondamentaux. Premier point : limiter les flux suspects grâce aux plafonds progressifs. Second point : renforcer la traçabilité des opérations et l’identification des clients. Troisième point : imposer l’usage exclusif du dinar algérien pour maîtriser les sorties de capitaux. Cette approche graduée vise à compliquer l’utilisation de ces outils pour le blanchiment d’argent tout en préservant la souveraineté monétaire.
Chaque ouverture de compte nécessite désormais une convention écrite. Ce document doit détailler les services proposés, les tarifs appliqués en dinars, les procédures de contestation et les modalités de résiliation. La transparence devient ainsi obligatoire dès la relation contractuelle, avec l’obligation claire d’opérer uniquement dans la devise nationale.
Séparation des fonds et responsabilité des agents
La réglementation impose une séparation stricte des fonds. Les dépôts des clients doivent être placés dans des comptes spécifiques libellés en dinars, totalement distincts des fonds propres de l’opérateur. Cette mesure protège les usagers en cas de défaillance du prestataire. L’argent des clients reste accessible même si l’entreprise rencontre des difficultés financières.
Les prestataires peuvent travailler avec des agents : correspondants, points de dépôt et de retrait. Mais ils restent entièrement responsables devant la Banque d’Algérie. Ces agents doivent être enregistrés et contrôlés. Ils supportent les mêmes obligations de conformité que leurs mandants, notamment l’interdiction d’accepter d’autres devises que le dinar algérien.
La protection des utilisateurs occupe une place centrale. Les PSP doivent fournir un reçu détaillé pour chaque transaction en dinars. La consultation du solde et de l’historique doit être gratuite. Des procédures de réclamation accessibles sont obligatoires. Enfin, chaque prestataire doit souscrire un garant bancaire ou une assurance pour couvrir sa responsabilité civile professionnelle.
Une spécificité algérienne face aux standards internationaux
Cette instruction éloigne paradoxalement l’Algérie des standards du GAFI (Groupement d’action financière) sur un point crucial : la flexibilité des devises. Si elle reprend l’identification progressive des clients, la limitation des flux selon le niveau de vérification et l’obligation de séparer les fonds, elle impose une restriction monétaire unique. Le texte s’inspire des pratiques européennes pour la traçabilité et les garanties de protection, mais s’en écarte radicalement sur la question des devises.
Des différences majeures subsistent avec l’Europe. Tandis que les comptes de paiement européens acceptent les devises étrangères et fonctionnent à l’international, l’Algérie impose des restrictions drastiques. Tous les comptes doivent être libellés en dinars algériens exclusivement. Leur utilisation se limite au territoire national. Cette approche reflète une prudence monétaire extrême et une volonté affirmée de contrôler les sorties de capitaux.
L’Instruction n°06 positionne l’Algérie dans une démarche de souveraineté monétaire renforcée, quitte à limiter l’attractivité internationale de ses services de paiement. Son application effective et son contrôle détermineront son succès. Si elle est correctement mise en œuvre, elle pourrait offrir à l’Algérie un cadre de contrôle total sur ses flux monétaires domestiques, mais au prix d’une isolation relative des standards internationaux de flexibilité des devises dans l’écosystème fintech mondial.