Depuis près d’une décennie, l’Algérie vit un paradoxe sucré. Alors que la consommation moyenne de sucre par habitant dépasse les 24 kg par an — soit plus du double de la recommandation maximale de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) — les seules initiatives concrètes pour inverser la tendance proviennent du secteur des boissons. En 2016, l’Association des producteurs algériens de boissons (APAB) a lancé un mouvement de réduction progressive du sucre dans les sodas, jus de fruits et jus 100 % naturels. Cette dynamique s’est soldée en 2022 par une réglementation inédite imposant un seuil maximal de 105 grammes de sucre par litre pour toutes les boissons industrielles. Mais l’élan n’a pas été suivi. Aucune autre branche de l’agroalimentaire n’a engagé de réforme comparable, laissant l’essentiel de la consommation sucrée nationale hors de tout cadre réglementaire.
L’APAB, pionnière et isolée
Cette réussite, on la doit à une stratégie menée sans fracas, mais avec constance par l’APAB, présidée par Ali Hamani. Plutôt que d’imposer une baisse brutale du sucre, l’organisation a misé sur une réduction étalée dans le temps, suffisamment progressive pour que le consommateur n’en prenne pas conscience. Une logique d’autant plus salutaire qu’elle s’est traduite par un aboutissement rare : l’adoption d’un cadre légal contraignant, aujourd’hui effectif sur l’ensemble du marché algérien des boissons. À ce jour, aucun autre pays d’Afrique du Nord ne dispose d’une norme similaire. Le Maroc s’en remet à une taxe dissuasive sur les boissons sucrées, sans seuil réglementaire imposé. La Tunisie et l’Égypte, quant à elles, n’ont engagé ni réforme structurée, ni encadrement spécifique sur la teneur en sucre dans les produits alimentaires.
Mais cette avancée pionnière reste isolée. À ce jour, ni les produits laitiers sucrés, ni les biscuits, ni les confiseries ou les pâtisseries industrielles n’ont amorcé un processus similaire. Le cadre réglementaire demeure absent, l’encadrement volontaire inexistant.
Les filières les plus sucrées restent hors champ
Ce constat est d’autant plus préoccupant que les boissons ne représentent qu’environ 12 % du sucre consommé en Algérie. Les 88 % restants proviennent principalement de la pâtisserie industrielle et artisanale, des céréales pour enfants, des yaourts sucrés, des biscuits, des confiseries et même du pain industriel, où du sucre est souvent ajouté pour améliorer goût et texture. Ces filières sont, de fait, les principales responsables de la surconsommation actuelle.
Elles pourraient pourtant suivre la voie tracée par l’APAB. Une limitation progressive de la teneur en sucre par catégorie de produits, un étiquetage nutritionnel renforcé, une réduction des portions vendues et une réglementation sur les sucres ajoutés dans les aliments destinés aux enfants constitueraient des leviers efficaces. Mais à ce jour, ni l’initiative privée ni l’intervention publique ne semblent enclenchées dans ces secteurs.
Une addiction nationale au prix lourd
Avec une consommation moyenne estimée entre 24 et 30 kg par an et par habitant, l’Algérie dépasse non seulement la moyenne mondiale — évaluée autour de 20 kg — mais aussi celle de pays développés comme l’Italie ou la France, où elle oscille entre 15 et 18 kg. Le différentiel est lourd de conséquences. Sur le plan sanitaire, l’Algérie enregistre une hausse continue des cas d’obésité et de diabète de type 2, qui touche plus de 14 % de la population adulte. Sur le plan économique, le coût des maladies liées à la surconsommation de sucre pèserait, selon l’OMS, entre 1 et 2 % du PIB dans les pays à revenu intermédiaire.
L’exemple de l’APAB démontre qu’un secteur peut impulser un changement sans attendre l’intervention de l’État. Mais sans relais des autres filières, ni politique globale de réduction des sucres, les Algériens resteront durablement « accros » à une habitude aussi culturelle que délétère.