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Maghreb

De la généralisation du CDD à « la protection du capital » comme nouveau dogme économique en Algérie

Par Yazid Ferhat
22 octobre 2016

Le Gouvernement s’apprête à jeter dans l’arène son projet de nouveau code de travail. Il est attendu que la grève provoquée par « la suppression de la retraite anticipée sans condition d’âge » se reproduise pour contester une nouvelle remise en cause des acquis sociaux.

 

 « Nous sommes passé d’un d’une économie dirigée à une économie de marché mais nous avons gardé la même réglementation du travail. Il faut changer cette réglementation de sorte qu’elle soit conforme  aux exigences de la logique marchande, » nous a déclaré, il y a quelques mois, un président d’une organisation patronale. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’un vœu pieux d’un chef d’entreprise rêveur mais d’une réalité : le Gouvernement s’apprête à jeter dans l’arène son projet de nouveau code de travail qui prévoit, entre autres, la généralisation des contrats à durée déterminée (CDD) dans la relation qui lie les employeurs aux employés. Le CDD, précise le projet de loi, est renouvelable trois fois seulement. Cette mesure,  élément parmi d’autres dans la législation de travail en gestation, n’en est pas moins la plus importante et la plus à même de capter l’attention aussi bien du patronat que du salariat. En effet, perçue comme étant une mesure positive par les patrons qui ont à maintes reprises souligné son impérieuse nécessité,  les syndicalistes y voient  « une lourde menace », « une remise en cause brutale des acquis sociaux des travailleurs ». « La généralisation du CDD est une précarisation de l’employé et un ébranlement de la relation qu’il entretient avec son travail, » estime Djamel L., employé de la Sonelgaz qui dit « ne trouver nul argument pour défendre une idée aussi criminelle ». Même  chose pour Nadia T., enseignante qui considère que, « en précarisant l’employé, en mettant sa carrière professionnelle sous le sceau de l’incertitude, il ne peut pas être rentable ». « Le rêve de tout employé chez nous est d’être titularisé, ce qu’il vit comme une fête, un moment exceptionnel dans sa vie. De fait, tuer ce rêve d’une stabilité professionnelle, légitime de surcroît, c’est tuer toute motivation chez l’employé », ajoute-t-elle avec émotion.

Pas que des adversaires au sein du salariat

Si la généralisation du CDD fait l’unanimité au sein du patronat, elle n’a pas que des adversaires au sein du salariat ; elle a aussi des adeptes. Mahmoud N., communicant institutionnel, voit dans la généralisation la consécration de la mobilité professionnelle comme constante dans la relation employeur-employé, ce qu’il qualifie d’ « avancée exceptionnelle qui permettrait à tout employé d’explorer plusieurs horizons et de vivre plusieurs expériences ». « Travailler dans un même endroit, évoluer dans un seul créneau, traquer le même horizon peut assurer une certaine stabilité financière à l’employé mais les trajectoires professionnelles plates ne sont ni créatives ni porteuses d’ambition. Or, la logique de continuité, de constance, de reproductions des schémas anciens est incompatible avec l’économie de marché qui, elle, fonctionne à une allure effrénée et mise sans cesse sur la création, l’innovation et l’ambition. Entrer dans l’économie de marché et y gagner une bonne place, c’est d’abord changer notre rapport au travail, » explique-t-il. Tarek G., ingénieur dans une entreprise privée, se dit favorable à la généralisation du CCD « mais à condition que toutes les administrations et les entreprises soient dirigées par des managers professionnels ». « Je suis prêt à opposer à mon employeur la qualité de mon travail pour demander la reconduction de mon CCD mais à condition que cet employeur soit en mesure de m’apporter l’argumentaire nécessaire lors des négociations. Car, livrer les employés à la merci des managers et d’employeurs sans raison est inacceptable, » affirme-t-il. Sarah S., enseignante universitaire considère, elle, que l’idée est « plus que géniale ». « Nombre de mes collègues travaillent dur quand ils arrivent. Ils se donnent de la peine, accompagnent les étudiants, préparent leurs cours, se documentent, etc. Mais dès qu’ils sont titularisés, ils tournent la page du sérieux et de la rigueur et se transforment miraculeusement en apôtres de la paresse et du je-m’en-foutisme. Si le CDD venait à être généralisés, ils seraient obligés de travailler sérieusement pour garder leur poste et cela va se répercuter positivement sur le niveau des étudiants », analyse-t-elle en soulignant que « l’Algérie fait partie de ses pays sous-développés où plus on a de l’expérience, moins on est intéressant et utile ».

Le nouveau dogme

Les syndicats ne s’étant pas encore exprimés sur la question, il est attendu que la grève provoquée par « la suppression de la retraite anticipée sans condition d’âge » se reproduise et concerne cette question. Mais,  bien que la réglementation du travail ne soit plus considérée  par les institutions internationales, notamment la Banque mondiale et le FMI, comme étant un indicateur incontournable de croissance  depuis  2011, il n’en demeure pas que celle-ci doit être réformée pour se mettre au diapason des nouvelles exigences de l’économie de marché à laquelle s’arrime progressivement l’économie algérienne. En touchant à la législation de travail et particulièrement à la relation employeur-employé, le Gouvernement, qui agit probablement sous la pression des patrons, veut faire entrer le libéralisme par la grande porte. C’est peut-être tôt. Ce n’est peut-être pas le moment. Néanmoins, en ces temps de grande dèche, de stress budgétaire et de crise financière, passer de la protection du salariat à la protection du capital représente une urgence aussi bien pour le patronat algérien que pour le Gouvernement. C’est le nouveau dogme.

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