Escapade à El Menia, la destination la plus sous-cotée du Sahara
Par Reportage El Kadi Ihsane 21 novembre 2025
Au volant de son 4×4 Toyota, Bel Bachir marmonne plus qu’il ne parle. La cinquantaine bien entamée, il devient plus audible lorsqu’il évoque son passé de chauffeur au long cours : Fezzan en Libye, Ténéré au Niger, Gao au Mali. Il a arpenté le Sahara des deux côtés du tropique, en partant de ce carrefour caravanier qui tutoie le Nord. Aujourd’hui, il est grand producteur de pastèques à El Menia, le premier à en vendre au Tell alors que le printemps n’a pas fini de s’installer. Au cœur de son immense ferme, un verger de type « mitidjien » combine agrumes et grenadiers à l’abri de haies de casuarinas, l’arbre brise-vent qu’il préfère au cyprès. L’élevage ovin et caprin complète le modèle. « Vous pouvez choisir en février votre mouton pour l’Aïd, je vous le livre à Alger la veille. » Deux travailleurs subsahariens assurent l’entretien entre deux récoltes, « où il faut du renfort ».
La rencontre avec El Menia pourrait ressembler à cela pour des centaines de commerçants du Nord : un raid sur une ferme saharienne pour s’approvisionner en primeurs. Un malentendu. L’ex-El Goléa s’est enfermée de longues années dans cette identité de contrée de l’eau abondante, laboratoire national de l’agriculture saharienne. Elle imprime, dès Hassi El F’hel pour le routier venant du Nord, son tampon vert au gré des pivots de cultures céréalières de part et d’autre de la nationale Une.
Une autre identité revient en grâce : celle de la perle du Sahara, sa plus grande et plus riche oasis, vénérée par tant de voyageurs au siècle dernier. La halte-déjeuner, pour les Telliens pressés sur la route de Timimoun, en devient une faute de goût.
Dar El Ward pour mettre du vert sur l’ocre
À l’ouest, le bleu du ciel accepte les premières couleurs intrusives d’une lumière déclinante. Pas d’horizon visible ici. L’étang sur lequel nous pédalons, en écoutant les explications de Hamidou, est bordé par la palmeraie — la plus vaste du Sahara si l’on ne compte pas Tolga, trop proche du Tell.
Il y a donc plusieurs manières de rencontrer El Menia. Celle-ci combine tous ses éléments : l’oasis, l’eau, l’erg tout proche qui distribue les rôles et le narratif qui redonne son éclat à cette destination longtemps oubliée des touristes.
L’association Dar El Ward reconstruit autrement la légende de l’ex-El Goléa, perle du désert à l’époque coloniale, en mode COP30. L’association, qui exploite la maison d’hôte la plus référencée de la ville, a développé depuis de longues années un jardin botanique, une ménagerie et creusé un plan d’eau à la lisière de l’erg.
Le nouveau tourisme ici est estampillé vert : protection de la biodiversité, écosystèmes locaux, économie circulaire. Le projet remet El Menia dans la lumière durable.
Hamidou, profil de start-upper du caritatif, a les yeux pétillants de celui qui conte un rêve en ligne lorsqu’il présente la démarche « sociale et écologique » de sa grande famille, de traditionnels entrepreneurs, pour leur communauté. En définitive, pour l’universalité d’El Menia, vestige flamboyant d’une cohabitation raisonnée entre l’habitant et le désert.
« Il faut au moins une semaine pour visiter tout ce que la région offre en découvertes. Vous n’avez que trois jours ? Dommage. On fera avec. »
Des flamants en balise du temps
C’est une embuscade esthétique aux airs boréaux à quelques centaines de mètres du goudron de la nationale Une. Vertiges au bord de la falaise est du lac El Mellah. Le cercle solaire se dédouble sur l’immense plan d’eau bordé des dorures de l’erg, sous un incendie de couleurs. Un piège à émotions.
« Même le crépuscule sur la crête de la grande dune de Taghit n’est pas aussi envoûtant », suggère à voix basse un converti en manque d’air.
Effet de surprise. La séquence d’approche, celle avant de gravir la falaise dos au couchant, aurait pourtant dû nous préparer à cette lévitation.
Les flamants roses. Ils sont là, alignés, gracieux et improbables, dans ce décor de documentaire animalier à gros budget.
J’ai toujours entendu parler des lacs d’El Menia. Personne ne m’a prévenu que cette combinaison existait : le lac, les flamants, si proches de l’oasis, l’erg à l’ouest, la palmeraie au nord et le soleil en maître céleste de cérémonie.
Le rougeoiement s’éternise. Les premières lumières de la ville font miroir avec celles des étoiles précoces. La découverte d’El Menia est, ici, un tournoyant ballet de 4×4 qui s’interrompt pour accueillir la nuit.
Le vieux Ksar veille sur l’oasis
El Menia a abattu son maître atout en coursant le soleil. Le matin, elle nous proposait son histoire en pierre : son Ksar vieux de onze siècles et sa légende féminine.
Mebarka Bent El Khas, une reine berbère, protectrice de ce relais de caravanes devenu nœud gordien du Sahara jusqu’aux confins de la conquête coloniale.
La montée du vieux Ksar est un voyage médiéval au-dessus d’une ville-palmeraie éblouissante. Ses murs ocres, érodés par le vent, semblent faits pour résister à l’oubli plutôt qu’au temps.
En contrebas, l’oasis prend toute son amplitude. Entre les maisons abandonnées et les portes encore closes, l’histoire circule comme une poussière lente.
Le toit de la mosquée a brûlé en 2024. De jeunes squatteurs nocturnes y ont oublié un feu allumé. Le vieux Ksar n’est pas gardé la nuit. El Menia pas encore éveillée aux trésors qu’elle abrite ?
La direction de la culture de la jeune wilaya a promis une réhabilitation du site sinistré.
Père de Foucault, le voyageur canonique
Le gardien de la première église bâtie au Sahara vient en voisin pour l’ouvrir aux visiteurs.
L’église Saint-Joseph est un peu orpheline d’une présence chrétienne qui avait bousculé des siècles de certitudes oasiennes.
Comme ultime témoignage, l’imposant tombeau du père Charles de Foucault, mort à Tamanrasset en 1916 et transféré à El Goléa en 1929.
Le tourisme cultuel, encore balbutiant dans le pays de Saint Augustin et de la Tarika Tidjania, tient avec El Menia la promesse d’une exclusivité : la visite de la sépulture d’un saint béatifié (2005) puis canonisé (2022) par deux papes successifs.
À l’intérieur de l’église, au mobilier simple inscrit dans l’esprit de l’oasis, le parcours de vie du père de Foucault tapisse les murs. Un voyage hallucinant, essaimé en des lieux si époustouflants qu’El Goléa s’étonnait d’avoir accueilli l’ultime halte.
El Menia intègre le tombeau à côté de l’église. Elle l’enroule lentement de ses palmiers innombrables.
El Boustan et un supplément d’âme
La première fois où je me suis arrêté une nuit à El Menia, elle luttait contre l’effacement inexorable d’El Goléa, la coloniale. L’hôtel public El Boustan l’y aidait.
C’était en 1986, à l’occasion du Rallye auto-moto d’Algérie. Une autre époque, un autre pays.
El Boustan, signé Fernand Pouillon, a été restauré. Merveilleux. Une oasis de raffinement dans la perle.
Il pourrait devenir le produit d’appel — pas abordable pour tous — d’El Menia, s’il se dotait de l’esprit Dar El Ward. Il lui suffirait de conter El Menia au voyageur et de la suggérer telle qu’elle est aujourd’hui : un mix sublimé de Taghit, Timimoun et El Oued.
La première pour le vertige de la dune majestueuse qui propose un belvédère sur le crépuscule.
La deuxième pour l’expérience des ksour médiévaux, leur génie hydraulique en héritage.
La troisième pour l’erg devenu un surprenant vivier nourricier pour le pays.
El Menia dépasse pourtant ce triptyque. Elle possède un supplément d’âme : les étendues d’eau de ses lacs.
Bel Bachir le sait. Il aime, plus que tout, faire découvrir à ses visiteurs ébahis le plus grand, le plus émouvant lac de la région, bordé de dunes, à vingt minutes de son îlot de Mitidja.
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