En 2024, le secteur bancaire algérien affiche une santé florissante. Mais cette prospérité repose largement sur les placements en titres publics plutôt que sur le crédit à l’économie, révélant un modèle de rente financé par la dette de l’État.
Les banques algériennes ont bouclé l’année 2024 sur une note très confortable. Leurs revenus progressent nettement, portés par la hausse des taux d’intérêt et l’inflation. Une mécanique simple mais redoutablement efficace : moins de crédits risqués à l’économie, plus de placements sûrs en bons du Trésor. Résultat, le secteur bancaire gagne de l’argent massivement sans prendre beaucoup de risques ni vraiment financer l’économie productive.
À la fin 2024, le total du bilan de la place bancaire atteignait 24 342 milliards de dinars, en hausse de 4,39% sur un an. Les crédits à la clientèle augmentent modestement de 4,40%, soit quasiment le même rythme. En réalité, ce n’est pas tant l’activité de crédit qui tire la croissance que la simple compensation de la hausse des prix dans un contexte inflationniste.
Dans le même temps, le produit net bancaire décolle. Les banques publiques, qui dominent le marché, affichent un bond de 19,38%, contre 11% pour les banques privées. Ce décrochage s’explique par la structure même de leur activité : pour les banques publiques, environ 85% du produit net bancaire provient de la marge d’intérêt, et seulement 15% des commissions. Les banques privées présentent une répartition plus équilibrée, autour de 75% pour la marge d’intérêt et 25% pour les commissions. Cette différence révèle que la rentabilité des établissements publics repose d’abord sur le différentiel entre les taux de ressources et les taux de crédit, au premier rang desquels se trouvent désormais les titres publics.
Quand les bons du Trésor deviennent le placement star
La bascule est là. Les banques détiennent aujourd’hui 8 303 milliards de dinars de titres du Trésor, soit environ 34% de leurs bilans. Les banques publiques en portent 7 685 milliards, les privées 618 milliards. Mais cette exposition varie fortement selon les institutions : de 55% du bilan pour la BNA à plus de 96% pour la CNEP ou autour de 30% pour la BDL. Autrement dit, une part importante des revenus bancaires ne vient pas de crédits à l’économie, mais de la rémunération des bons du Trésor et obligations assimilées, financés par des dépôts durablement placés.
Ce modèle économique algérien fonctionne selon une logique bien rodée. L’État, en déficit budgétaire chronique, émet des titres pour financer ses dépenses prioritaires plutôt que d’investir dans le productif. Les banques, qui disposent de liquidités abondantes grâce aux dépôts de la population et des entreprises publiques, achètent ces titres. En amont, elles bénéficient également de la manne des hydrocarbures qui alimente le système. Le Trésor leur garantit des taux de rémunération attractifs, créant ainsi une forme de rente financière à faible risque.
Cette configuration crée une ferme de rente financière. Au lieu de prêter massivement aux ménages, aux entreprises et aux organismes publics pour stimuler l’activité, les banques préfèrent la gestion simple et la rentabilité immédiate des placements publics. Un cercle où chacun trouve son compte à court terme, mais qui pose la question du financement de l’économie réelle sur le long terme.