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Surcapacité mondiale de GNL : pourquoi l’Algérie doit bouger maintenant

Par Yasser K
2 novembre 2025
Vue du complexe de gaz naturel liquéfié (GNL) de Skikda, sur la côte est de l’Algérie. Exploité par Sonatrach, le site constitue l’un des principaux pôles d’exportation de GNL du pays vers l’Europe et le bassin méditerranéen. (DR)

Le marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL) s’apprête à entrer dans une phase de surabondance. Les États-Unis et le Qatar inondent le marché de nouvelles capacités pendant que l’Europe consomme moins. Pour l’Algérie, qui tire l’essentiel de ses revenus des hydrocarbures, cette nouvelle impose un repositionnement stratégique rapide.

D’ici 2030, les capacités mondiales de liquéfaction vont bondir de 60% selon le London Stock Exchange Group. L’administration Trump a validé 390 millions de m³/jour de nouvelles capacités d’exportation, soit plus que ce que produit l’Australie, deuxième exportateur mondial. De son côté, le Qatar lance North Field East en 2026 avec un objectif de 120 millions de tonnes annuelles. Résultat prévisible, à partir de 2027-2028, le monde va nager dans le GNL et les prix vont baisser.

L’Algérie produit environ 25,5 millions de tonnes par an à partir de ses trois terminaux d’Arzew, Skikda et Béthioua. Le pays, dixième au classement mondial avec 3 % du marché, voit toutefois ses exportations plonger de 50 % au premier trimestre 2025. Les installations tournent à 70% de leur capacité contre plus de 90% chez les concurrents. Un écart qui pèse sur la compétitivité.

L’Europe, un marché qui se contracte

Le principal problème vient de l’Europe, débouché historique du gaz algérien. La demande a reculé de 20% entre 2021 et 2024. La désindustrialisation s’accélère, la sidérurgie, la chimie et les engrais ferment ou se délocalisent. En parallèle, la transition énergétique européenne s’intensifie avec un basculement vers les renouvelables, et l’Institute for Energy Economics prévoit une nouvelle baisse de 20 % des importations de GNL d’ici 2030.

Ce recul n’est pas conjoncturel. C’est une tendance lourde qui remet en cause le modèle économique des exportateurs méditerranéens. L’accord de 150 milliards de dollars entre Trump et Bruxelles enfonce le clou : les Américains récupèrent des parts de marché que l’Algérie croyait acquises. Même l’Italie, premier client avec 25 à 28 milliards de m³ garantis par an, diversifie ses approvisionnements vers la Libye et l’Égypte.

Il reste des atouts. Les gazoducs Medgaz (12 milliards de m³/an vers l’Espagne) et Transmed (32 milliards de m³/an vers l’Italie) offrent une stabilité que le marché spot ne donne plus. Les contrats pipeline sont moins exposés aux variations brutales de prix. Et la proximité géographique compte : trois jours de navigation vers Marseille contre dix depuis le Golfe. Cet avantage logistique permet de capter les pics de demande hivernale quand les prix remontent temporairement.

Mais cela ne suffit plus. Les projections de Wood Mackenzie tablent sur un prix moyen du GNL en Europe entre 6 et 8 dollars/MMBtu à l’horizon 2028, contre 12 à 15 dollars durant 2022-2023. Pour les finances publiques algériennes, déjà sous pression avec un déficit budgétaire qui a atteint 7,2% du PIB en 2024 et des réserves de change passées sous les 60 milliards de dollars, cette baisse de valorisation pèse lourd. On parle de 3 à 5 milliards de dollars de manque à gagner annuel.

L’Asie, un eldorado compliqué

Tous les producteurs ont les yeux tournés vers l’Asie, où la demande en Asie du Sud-Est devrait bondir de 150% d’ici 2035 selon Wood Mackenzie. L’Inde, le Bangladesh, le Vietnam et les Philippines multiplient les projets de regazéification, faisant de la région le nouveau terrain de conquête du marché mondial du GNL.

Sauf que l’Algérie arrive tard. Le Qatar et les États-Unis ont déjà verrouillé les gros contrats long terme jusqu’en 2035-2040. Le fret depuis la Méditerranée coûte 30 à 40% plus cher qu’au départ de Ras Laffan. Cette différence de coût logistique annule tout gain potentiel sur les prix FOB. Sonatrach n’a pratiquement aucun contrat structurant en Asie, contrairement à ses concurrents qui ont tissé des partenariats depuis quinze ans.

Et puis, la dynamique asiatique se révèle moins linéaire que prévu. Les importations chinoises de GNL américain ont fortement chuté début 2025, après les tensions commerciales. Pékin privilégie le gaz russe par pipeline et installe massivement du solaire, de l’éolien et des batteries. En 2024, le pays a ajouté 300 GW de capacités photovoltaïques. Le Pakistan négocie avec le Qatar des reports de livraisons parce que les panneaux solaires chinois bon marché ont fait chuter sa consommation de gaz.

Le marché spot asiatique reste accessible, mais il est volatile. Les prix fluctuent brutalement selon les saisons et les tensions géopolitiques. Pour un pays comme l’Algérie qui a besoin de revenus stables pour boucler son budget, cette incertitude pose problème. Impossible de planifier des investissements ou des politiques publiques sur du spot.

Les leviers disponibles

Face à cette configuration, l’Algérie conserve une certaine marge de manœuvre. Sonatrach a engagé, avec l’italien Saipem, un programme de modernisation de ses trains de liquéfaction afin de ramener le coût de revient autour de 4 dollars le MMBtu, contre environ 6 dollars aujourd’hui. Cela passe par une réduction des coûts opérationnels, une meilleure efficacité énergétique, moins de pertes de méthane dans le processus. Ces gains ne nécessitent pas de reconstruire complètement les installations, mais d’optimiser l’existant.

La position méditerranéenne peut aussi être valorisée autrement. L’Algérie participe au Forum du gaz de la Méditerranée orientale (EMGF) et renforce ses liens avec la Grèce et la Turquie, deux futurs hubs de regazéification. Ces partenariats régionaux ouvrent des possibilités de coopération industrielle et commerciale. Alger pourrait devenir un maillon de la chaîne d’approvisionnement méditerranéenne plutôt que juste un fournisseur parmi d’autres.

L’Afrique subsaharienne représente une piste sérieuse. Plusieurs pays de la région équipent leurs infrastructures gazières et cherchent des fournisseurs fiables dans le voisinage. Le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire développent des centrales à gaz. L’Algérie a la proximité, l’expertise technique et la crédibilité pour se positionner sur ce segment en croissance. C’est un marché plus petit que l’Europe ou l’Asie, mais moins concurrentiel et en expansion.

Une fenêtre de tir étroite

La période 2027-2034 va être rude. La surcapacité mondiale va pousser les prix à la baisse. Chaque producteur va défendre ses marges en baissant ses tarifs ou en offrant des conditions plus flexibles. Les acheteurs vont jouer la concurrence entre fournisseurs. Dans ce contexte, ceux qui ont les coûts les plus bas et la meilleure réactivité commerciale vont s’en sortir. Les autres vont perdre des volumes et des revenus.

L’Algérie n’a pas la taille pour dicter les prix comme le Qatar ou les États-Unis. Elle n’a pas non plus la flexibilité financière pour tenir longtemps avec des marges réduites. Les installations vieillissantes demandent entre 8 et 10 milliards de dollars d’investissements lourds pour retrouver leur compétitivité. Le pays doit donc miser sur autre chose : la rapidité de livraison, la fiabilité d’approvisionnement, les relations commerciales anciennes avec l’Europe du Sud.

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