En Algérie, la contrebande a changé de nature. Après le carburant, longtemps au cœur des trafics frontaliers, c’est désormais l’or qui attire réseaux criminels et migrants sahéliens dans les immensités du Sud. Des services spécialisés confirment que le sable et le gravier de plusieurs zones sahariennes sont suffisamment riches en particules aurifères pour alimenter une véritable économie clandestine, connectée aux hubs d’orpaillage du Niger, du Tchad et de la Mauritanie.
Un or algérien traité à l’étranger
Sur le papier, l’orpaillage est interdit en Algérie. Dans la pratique, des milliers de puits sont creusés dans des secteurs difficiles d’accès. Selon des témoignages recueillis au Niger, environ 80 % des opérations de traitement du sable aurifère d’origine algérienne se dérouleraient aujourd’hui de l’autre côté de la frontière, dans des sites comme Arlit et Tibarakaten, devenus des plaques tournantes régionales de l’or artisanalo‑industriel. L’Algérie se retrouve ainsi à exporter illégalement, sous forme brute, une ressource stratégique dont la valeur ajoutée se réalise en grande partie à l’étranger.
Arrestations en série
Les autorités algériennes ne restent pas inactives et multiplient les opérations de ratissage dans le Sud. Des bilans réguliers font état d’arrestations d’orpailleurs étrangers, de saisies de détecteurs de métaux et de matériel de dynamitage, notamment dans les régions de Djanet et de Tamanrasset. Dernier épisode significatif, un groupe de Mauritaniens spécialisés dans l’orpaillage a été arrêté dans le secteur de Tindouf. La mère de l’un d’eux a adressé un message au président mauritanien via Facebook pour lui demander d’intervenir en faveur de la libération de son fils, suscitant un vif débat en Mauritanie sur le sort de ces orpailleurs détenus en Algérie.
Un influenceur mauritanien a également publié un post montrant la photo d’orpailleurs arrêtés par l’ANP, en s’interrogeant : « À quand les hommes d’affaires mauritaniens qui mettent la vie de ces jeunes en danger prendront-ils conscience des risques d’aller chercher l’or au‑delà des frontières de leur pays ? » Contacté par Maghreb Émergent, Mahmoud explique que des hommes d’affaires mauritaniens fournissent des véhicules aux orpailleurs pour aller chercher de l’or « partout où les moyens le permettent ».
Explosifs, camions chinois et moulins soudanais
Les témoignages recueillis auprès d’acteurs de terrain dessinent une logistique transfrontalière bien rodée. Des explosifs, sous forme de mines et de charges destinées à ouvrir les puits, sont acheminés en fraude depuis le Nigeria et le Burkina Faso, en transitant par le Niger avant d’alimenter les chantiers d’orpaillage autour de Djanet et dans d’autres zones reculées du Sud‑Est. Une fois sur place, le sable aurifère est extrait, chargé sur des camions de marques chinoises achetés en Algérie – HOWO et Shacman – puis dirigé vers des points de broyage où de petits moulins, conçus à l’origine au Soudan et désormais fabriqués à Arlit, transforment le gravier en poussière exploitable. Ces installations, faciles à déplacer, sont souvent alimentées par de puissants groupes électrogènes dissimulés dans des secteurs isolés, hors de portée des contrôles.
Une main‑d’œuvre sahélienne et invisible
La main‑d’œuvre reflète cette dimension transnationale. Des Tchadiens, Soudanais, Maliens et Nigériens travailleraient en Algérie sans être déclarés, recrutés pour leur expérience des ruées vers l’or au Tchad, au Niger ou au Soudan. « Récemment, un frère m’a demandé de lui envoyer de l’argent pour acheter des explosifs », raconte un témoin, qui affirme que « des milliers de Soudanais, Maliens, Nigériens et Tchadiens » travaillent dans l’orpaillage en Algérie, souvent illettrés, et que « leur première réaction, si vous leur posez des questions, est de penser que vous êtes un agent de renseignement ».
Certains ont même installé de petits moulins de traitement dans des jardins loués dans différentes villes du Sud, où ils broient du sable aurifère à proximité immédiate des centres urbains. Chaque machine, affirment nos interlocuteurs, paierait l’équivalent d’environ 770 euros par mois, entre location et frais d’électricité. Ces équipements consomment énormément d’énergie : pour contourner les limites du réseau public, de gros groupes électrogènes sont installés dans des lieux isolés et soigneusement dissimulés, chacun pouvant alimenter au moins deux moulins. Ce sont principalement des Tchadiens qui assureraient cet approvisionnement en électricité.
Mercure et zinc, un cocktail toxique
Le procédé chimique utilisé sur ces sites reste rudimentaire mais extrêmement dangereux pour l’environnement. Le mercure demeure l’agent principal pour amalgamer l’or et le séparer du sable, complété par le zinc et d’autres produits toxiques, sans aucune norme de sécurité ni dispositif de récupération. Dans les zones d’orpaillage, le gravier est pulvérisé jusqu’à devenir une poussière fine, puis arrosé de ces réactifs avant que l’or ne soit récupéré. Les effluents se dispersent dans les sols et les oueds, avec un risque durable de pollution des nappes phréatiques et d’empoisonnement des chaînes alimentaires, dans des régions déjà fragilisées par le stress hydrique.
Des “fermes” qui cachent des moulins
Pour verrouiller la chaîne, certains réseaux chercheraient des couvertures légales. Des sources locales évoquent la location de fermes et de jardins dans plusieurs villes du Sud, officiellement pour des activités agricoles, en réalité pour y installer des moulins de broyage et des stocks de sable aurifère. Sur des plateformes de petites annonces spécialisées dans l’agro‑business, circulent des offres proposant, par exemple, la location d’un « terrain agricole » de 19 000 hectares dans le Sud algérien, sans aucune indication précise sur la localisation, alors que cette région couvre un territoire immense. Pour des témoins basés dans les régions du « grand Sud », ce marché de la location agricole serait encore plus opaque dans les zones les plus reculées, où les procédures sont fragmentées et les contrôles administratifs difficilement vérifiables.
Loi minière : encadrer l’artisanat, tarir la contrebande ?
Cette opacité nourrit un climat de peur et de suspicion. Des interlocuteurs contactés dans plusieurs wilayas sahariennes ont refusé de s’exprimer, estimant que « le sujet de l’or est dangereux » pour eux, et que tout est « normal » jusqu’au moment où l’on aborde l’or, à partir duquel « tout devient trop risqué ».
Face à cette réalité, l’État tente de reprendre la main par le droit. Une nouvelle loi minière est entrée en vigueur en 2025, refondant le cadre juridique des activités de recherche et d’exploitation de toutes les substances minérales et créant deux agences de régulation, dont l’Agence nationale des activités minières (ANAM). Ce texte, qui remplace la loi de 2014, précise les différents titres miniers, les procédures d’attribution, les obligations environnementales et les sanctions pour les infractions, tout en cherchant à rendre le secteur plus attractif pour l’investissement.
Surtout, la réforme accorde une place particulière à l’exploitation artisanale de l’or. Le ministère de l’Énergie et des Mines met en avant un cahier des charges spécifique pour cette activité, accessible sur le site de l’ANAM, qui définit les conditions d’octroi de permis artisanaux, d’encadrement des coopératives et d’achat de la production par l’entreprise publique ENOR. Selon les chiffres officiels, plus de deux cents licences d’exploitation artisanale auraient été attribuées depuis le lancement du programme en 2021, avec des formations techniques, la distribution d’équipements et des autorisations pour l’approvisionnement en carburant…