Hernando De Soto : le « gourou de l’économie informelle » est-il écouté en Algérie ? | Maghreb Émergent

M A G H R E B

E M E R G E N T

Algérie

Hernando De Soto : le « gourou de l’économie informelle » est-il écouté en Algérie ?

Par Maghreb Émergent
18 décembre 2015

 A l’occasion de son  passage sur  Radio M, la webradio de Maghreb Emergent, Hernando De Soto raconte une anecdote révélatrice. En 2012, le célèbre économiste péruvien répond  à une première invitation du réseau Care en Algérie. Il est reçu par le président de la République, M.Abdelaziz Bouteflika, entouré de plusieurs ministres et conseillers devant lesquels il expose ses thèses devenues classiques sur le poids et le fonctionnement de l’économie informelle ainsi que sur le rôle des droits de propriété dans les processus de formalisation et de développement de l’économie.

Il est d’abord écouté attentivement par le Président avant qu’un ministre se lève, fasse un aller retours vers une fenêtre, et revienne vers le Président et son invité en s’adressant au chef de l’Etat dans ces termes « Monsieur le Président est ce que vous vous rendez bien  compte que ce que Monsieur De Soto propose c’est la légalisation de l’économie de Bazar ? ».

Des thèmes en pleine actualité

Dans l’Algérie des années 2010, l’ « économie de bazar » bat son plein et les thèmes abordés par De Soto sont d’une actualité brulantes. Pas un jour sans qu’on parle dans les médias algériens, d’élimination des marchés informels, d’amnistie fiscale, de destruction des constructions illicites, voire d’interdiction des parkings sauvages ou d’éradication de l’habitat précaire. Sur tous ces sujets, les thèses de l’économiste de Lima peuvent sembler d’abord paradoxales pour un auditeur algérien. Quelques exemples. Les  constructions illicites ? « Il faut les légaliser » affirme sans hésiter De Soto en réponse  à une question  des journalistes de Maghreb émergent. Une opération qui  peut insuffler une dynamique nouvelle  au secteur économique « si la légalisation se fait d’une façon telle qu’elle génère une garantie pour obtenir  un crédit, elle pourra alors créer du capital et de la valeur ex nihilo », explique-t-il, rappelant que la Russie de Vladimir Poutine,  a entrepris ,sur ses conseils, la légalisation de 400 000 datchas  et que cette opération a donné de « bons résultats ». Les marchés de commerce informel que les autorités algériennes tentent d’éradiquer  à travers le pays ? Le gouvernement algérien  ne fait pas nécessairement fausse route, estime De Soto, mais « le commerce est la partie la plus petite du secteur informel, l’industrie et l’agriculture informelles sont les activités les plus importantes ».

Une influence considérable

En fait, en Algérie comme ailleurs, sur la plupart des thèmes qui ont fait le succès de l’ « Institut pour la liberté et la démocratie », le think tank qu’il a créé en 1980, Hernando de Soto a déjà gagné. Chez nous comme ailleurs on reconnait désormais, dans le sillage des travaux de De Soto, que l’informel n’est pas du tout  ce secteur marginal et statistiquement négligeable que l’on imaginait voici encore quelques  décennies. Chez nous comme ailleurs on prend conscience  progressivement qu’il s’agit de passer d’une démarche fondée sur l’éradication – élimination  à une autre qui parle d’inclusion économique, d’intégration et de légalisation.  La meilleure manière de parvenir à la formalisation des activités extra-légales est de prendre contact avec les acteurs du secteur informel suggère l’économiste péruvien .Interrogé sur les différentes mesures prises par le gouvernement ces derniers mois , notamment la mise en conformité fiscale accordée aux tenants des fortunes non déclarées pour les bancariser,  De Soto approuve mais  estime que les démarches des pouvoirs publics si elles ne tiennent pas compte des aspirations des acteurs de l’informel, sont vouées à l’échec.  Il faut mieux connaître ce secteur et  établir un dialogue permanent pour savoir où ça coince, ajoute -t’il.

Les acteurs de l’informel ne cherchent pas à rester dans l’informel

Mais le domaine dans lequel le succès de Hernando de Soto est le plus éclatant est encore ailleurs. Pourquoi les acteurs de l’informel  vivent-ils en dehors de la légalité interroge- t-il ? La réponse est que le processus bureaucratique a le plus  souvent généré d’impressionnantes absurdités en termes de créations d’entreprises, de permis de construire de transfert de propriété etc…. Lorsqu’il faut plusieurs années et des dizaines voire des centaines de démarches administratives coûteuses en temps et en argent, pour obtenir une autorisation de l’administration, le calcul est simple : Il vaut mieux vivre dans l’informel. C’est dans ce domaine que les travaux et la  postérité de De Soto sont sans doute les plus importants. Le célèbre « doing business » développé par la Banque Mondiale depuis 2003 et qu’on commence à prendre au sérieux chez nous depuis à peine 2 ou 3 ans a purement et simplement été « inventé » par les travaux réalisés par de Soto et ses  équipes dans des grandes villes du monde comme le Caire. Mexico ou Manille. La Banque Mondiale a pris le relai ,avec une dizaine d’années de retard,  en mettant de plus en plus la pression sur les Etats et les bureaucraties du monde entier invitées sans ménagement à « améliorer leur climat des affaires ». Une évolution et des instruments de mesures que Hernando de Soto peut se permettre le luxe de critiquer : «  les gens  de la Banque Mondiale interrogent  les cabinets d’affaire, nous on va jusque dans les prisons » confie le gourou péruvien aux journalistes de Maghreb émergent.

ARTICLES SIMILAIRES

Algérie Algérie

Réformes politiques et médias : la vision de Tebboune face aux inquiétudes des partis

Le président Abdelmadjid Tebboune déplore l’absence de débat autour du projet de loi sur les partis politiques qu’il a soumis à discussion, affirmant qu’il ne souhaite pas faire adopter une… Lire Plus

Actualités Algérie

Rentrée scolaire : Statuts et manuels sous le feu des critiques

La rentrée 2025 s’annonce particulière. Derrière le calendrier et les salles de classe, c’est tout un modèle éducatif qui se retrouve questionné : statuts, programmes, manuels et langues sont au… Lire Plus

Á la une Actualités

Controversé mais promu… Saïd Sayoud jouit d’une « confiance spéciale » du Président

Dans une décision inattendue, le président Abdelmadjid Tebboune a surpris en maintenant Saïd Sayoud au gouvernement. Beaucoup l’annonçaient sur le départ, il hérite au contraire de deux ministères stratégiques :… Lire Plus

Actualités Algérie

« La cour constitutionnelle conservatrice sur le code de procédure pénale » (député yagoubi- suite)

2e partie : Lecture constitutionnelle approfondie de la décision n° 02/CC/CS/C/2025 rendue par la Cour constitutionnelle le 16 juillet 2025 concernant la constitutionnalité des articles 78, 187 et 188 du Code de… Lire Plus

Actualités Algérie

La Turquie drague Haftar : un coup d’Ankara au détriment d’Alger ?

Alors que la situation est troublée à l’Ouest, Ankara drague le clan Haftar à l’Est. Au détriment d’Alger ? Tripoli est de nouveau exposée au risque d’un conflit entre milices… Lire Plus