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Finances

L’emprunt obligataire de l’Etat algérien : éviter les mirages (contribution)

Par Yazid Ferhat
3 mai 2016

Le ministre des Finances  semble naviguer à vue, ne tenant pas compte tant  du dualisme de l’économie  algérienne que  de la morphologie sociale  culturelle  de la société algérienne, applique des recettes à une économie de marché structurée, et selon les  expériences historiques de pays similaires pouvant avoir des impacts mitigés.

 

Après les résultats mitigés pour ne pas dire échec de l’opération d’attirer  le capital- argent de la sphère formelle au sein de la sphère réelle  moyennant le paiement d’un impact forfaitaire  de 7%, le problème de l’emprunt national  qui au départ avait le même but  moyennant un placement   entre 3 et 5 ans pour un intérêt variant entre 5 et 5,75%, semble se transformer  en une opération du même vase communicant. Aussi, le ministre des Finances  semble naviguer à vue ne tenant pas compte tant  du dualisme de l’économie  algérienne, que  de la morphologie sociale  culturelle  de la société algérienne, applique des recettes à une économie de marché structurée, et selon les  expériences historiques de pays similaires pouvant avoir des impacts mitigés(1)

1.-L’emprunt obligataire lancé par  l’Etat algérien en avril 2016, concerne surtout la partie dinars  et non l’équilibre de la balance des paiements où les importations de biens et services y compris les transferts légaux de capitaux se font en devises sous forme de bons anonymes (comment distinguer l’argent bien acquis et l’argent de la drogue ou de tout autre trafic), avec un taux d’intérêt variable de 5 à 5,75%%. Aucune  somme limite n’est  fixée pour cet emprunt obligataire étatique, le gouvernement espérant drainer une fraction du capital argent de la sphère informelle qui représente 40% de la masse monétaire en circulation et occupe 50% de la superficie économique selon les rapports internationaux.  J’avais rappelé dans maintes contributions récentes, afin que l’emprunt obligataire puisse avoir un succès, avec  trois  impliquant un changement culturel de certains responsables : l’illusion monétaire et l’illusion de l’ère mécanique des années 1970, devant prendre en compte les nouvelles mutations mondiales à l’approche de la quatrième révolution industrielle. Premièrement, le taux d’intérêt doit être supérieur au taux d’inflation. Sinon, les ménages se réfugieront dans l’achat de devises fortes, de l’or ou de l’immobilier afin de préserver le pouvoir d’achat de leur épargne. Deuxièmement, il y a lieu d’éviter le dérapage accéléré du dinar qui a indirectement un impact à la fois sur les coûts de production des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% et sur le pouvoir d’achat des ménages dont les besoins dépendent à 70% de l’extérieur, un dinar dévalué de 30% du fait des taxes fiscales arrivant aux consommateurs avec une augmentation de plus de 50%. Troisièmement, de véritables réformes micro-économiques et institutionnelles où l’on doit éviter toute illusion monétaire. Dans une économie productive, toute dévaluation du dinar aurait dû entraîner une dynamisation des exportations hors hydrocarbures et l’Algérie est toujours mono-exportatrice à 97% d’hydrocarbures avec les dérivés, et le secteur privé représente moins de 1% des exportations totales montrant que le blocage est d’ordre systémique. Or, jamais,  le dinar algérien officiel n’a connu un tel dérapage   étant coté 5 dinars un dollar en 1970, 45 dinars un dollar selon les accords avec le FMI en1974 et  le 03 mai 2016 à 126,0827 dinars un euro   et à  108,6200 dinars un euro expliquant également le cours croissant au niveau du marché parallèle  et comblant  artificiellement le déficit budgétaire  par l’accroissement de la fiscalité hydrocarbures (‘en dollars ) et la fiscalité  ordinaire ( importations de biens ) en majorité en euros

2.- La dernière trouvaille est la mobilisation des sociétés d’assurances. Je rappelle au Ministre des finances que les sociétés  assurances  transforment les risques par le biais des taux d’intérêts mais comme les banques  pratiquer une politique de provisions et de fonds propres appropriés, de manière à compenser la perte éventuelle. Les sociétés d’assurance transforment les risques, en les sélectionnant,  valorisant les informations et les exploitant dans le cadre de la fourniture de leurs services et sont parfaitement au courant des caractéristiques de l’offre et de la demande d’argent. N’oublions pas qu’en  se portant acquéreur d’emprunts obligataires rémunérateurs, elles  mettent à profit ces soldes excédentaires, afin de dégager des profits  maximum. Or,  la majorité  du capital argent des assurances résulte de la collecte  de l’épargne réelle des entreprises et des ménages certaines d’entre elles  contractant  avec des sociétés prospères comme Sonatrach, Sonelgaz. Pour d’autres plus fragiles  iront également vers les emprunts obligataires afin de soutenir leur trésorerie surtout avec la crise des assurances  automobile.  Par ailleurs bon nombre d’entreprises et ménages à excédent financiers au sein de la sphère réelle, qui déposaient leur argent dans les banques  pour un intérêt de 2/3% vont  retirer cette épargne pour les placer  à un intérêt variant entre 5 et 5,75%. Le risque est l’assèchement des liquidés et le recours à la banque d’Algérie pour avoir des liquidités accroissant la masse monétaire en circulation, pouvant avoir à terme , en cas de non  d’accroissement de la production et de la productivité proportionnelle  à un processus inflationniste. Devant   distinguer la personne de la société, à des fins de spéculations, certains  d’entrepreneurs privés, nous ne parlons pas des entreprises publiques dont l’assainissement a coûté au trésor public plus de 60 milliards de dollars entre 1971/2015,  peuvent utiliser,  malgré leurs découverts bancaires vis-à-vis des banques notamment publiques , à titre personnel, une fraction du capital argent emprunté   pour avoir la rémunération  de  5 à 5,75% et ce au détriment du trésor public. Enfin, cet  emprunt étant canalisé  par le trésor public, bon nombre d’observateurs impartiaux   jugent que cet emprunt  a pur but essentiel de combler  le déficit budgétaire afin d ‘éviter que le fonds de régulation des recettes   soit de zéro courant 2017. Pour plus de transparence, j’avais préconisé au gouvernement  la création d’un fonds d‘investissement où serait canalisé cet emprunt pour plus  de  transparence  et éviter  des  polémiques avec certains experts  qui prohibent ce genre de pratiques financiers, la finance islamique étant fondée  sur le partage des risques.

En résumé, sans des  objectifs stratégiques précis, le retour à la confiance et la moralité supposant   une autre gouvernance reposant sur des institutions réalisant la symbiose Etat-citoyens, et sans de profondes réformes structurelles, micro-économiques et institutionnelles, certes difficiles, car déplaçant d’importants segments de pouvoir assis sur la rente, l’emprunt obligataire aura une portée limitée et ne sera que du replâtrage conjoncturel, sans avoir atteint son objectif.

(*) Dr Abderrahmane MEBTOUL Professeur des Universités, expert international

 

 (1)-Grand Débat avec le professeur Abderrahmane Mebtoul  à paraître sur l’emprunt obligataire le 11 mai 2016 à EChorouk TV

NB : Un emprunt obligataire est un instrument financier émis par une personne morale (Etat, collectivité publique, entreprise publique ou privée) qui reçoit en prêt une certaine somme d’argent de la part des souscripteurs des titres. Un emprunt obligataire est donc un titre de créance, c’est-à-dire qu’il représente une dette, remboursable à une date et pour un montant fixé à l’avance, et qui rapporte un intérêt. En cours de vie, la valeur d’une obligation évolue à la hausse ou à la baisse. Le capital étant intégralement remboursé à l’échéance, la vente avant l’échéance peut donc entraîner des plus-values ou des moins-values. Cet emprunt obligataire est une dette financière de l’Etat à moyen et long termes, supporté par les générations futures, résultant de prêts remboursables à terme (fonds versés en vertu de dispositions contractuelles à l’exception des concours bancaires courants) qui participent à la couverture des besoins de financement et garanti par l’Etat.

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