L’économiste Abderahmi Bessaha propose un plan méthodique pour en finir avec le double marché des devises. Sa recette passe par une plateforme d’enchères moderne, une discipline budgétaire renforcée et une attaque frontale contre l’économie informelle.
Abderahmi Bessaha en a assez des diagnostics à répétition. Depuis des années, tout le monde sait que le double marché des changes gangrène l’économie algérienne. Mais entre constater les dégâts et organiser la sortie de crise, il y a un monde. L’économiste a choisi de franchir le pas en proposant une véritable feuille de route, avec des étapes précises et des conditions à remplir.
Pour lui, impossible d’improviser sur un tel chantier. L’unification du marché des changes suppose une stratégie d’ensemble qui engage à la fois la discipline budgétaire, la lutte contre l’informel et la crédibilité de la Banque d’Algérie.
Une plateforme d’enchères pour en finir avec les quotas
Son idée principale consiste à créer “une plateforme d’enchères centralisée et moderne, où les prix reflètent réellement l’offre et la demande”. Fini le système de quotas et de passe-droits qui caractérise aujourd’hui l’accès aux devises.
Bessaha imagine un mécanisme transparent où “les banques et les entreprises participent à des enchères régulières pour obtenir des dollars ou des euros au taux de marché, tandis que les ménages s’appuient sur des bureaux de change alignés sur cette plateforme centrale”. L’objectif n’est pas de provoquer un choc brutal en unifiant d’un coup les taux officiel et parallèle, mais de réduire progressivement l’écart en rendant le marché formel plus attractif et plus prévisible.
La transparence serait garantie par “la publication en temps réel des taux, l’enregistrement des participants et des mécanismes de contrôle pour limiter la spéculation”. L’idée, c’est de déplacer le centre de gravité du prix de la devise depuis le square Port-Saïd vers un marché régulé, sans passer par la case dévaluation sauvage. Mais Bessaha ne se fait pas d’illusions. Une plateforme d’enchères toute seule, ça ne suffit pas. Si le reste ne suit pas, le système s’effondrera à la première secousse.
La discipline budgétaire comme préalable
Deuxième condition indispensable selon l’économiste, la discipline budgétaire. Pour lui, une réforme du change sans sérieux des finances publiques n’a strictement aucune chance de tenir. “Tant que les agents économiques anticiperont que l’État financera ses déficits en émettant de la monnaie, ils continueront de se couvrir en devises et alimenteront la pression sur le taux parallèle”, prévient-il.
Bessaha plaide donc pour un ancrage budgétaire solide, avec “une réduction graduelle du déficit, une limitation du recours à la création monétaire et l’adoption d’un cadre pluriannuel qui donne de la visibilité aux acteurs”. Sans cela, le nouveau système sera rapidement rattrapé par la défiance.
Autre exigence, la Banque d’Algérie doit retrouver son indépendance opérationnelle et sa crédibilité. “Une banque centrale perçue comme dépendante du financement du Trésor ou des arbitrages politiques n’arrivera jamais à défendre un nouveau régime de change”, estime Bessaha. Il faut qu’elle redevienne un véritable ancrage pour l’économie, que ses annonces sur le taux de change, la liquidité ou les taux d’intérêt soient crédibles et suivies par les marchés. Cela passe par des instruments modernisés, une politique de change plus flexible et surtout une communication claire sur les objectifs et les règles du jeu.
Assécher l’économie informelle
Le plus délicat reste à venir, s’attaquer à l’économie informelle. “L’hypertrophie du marché parallèle repose sur des montagnes de liquidités non bancarisées et sur un secteur informel qui pèse près de 30% du PIB”, dit clairement Bessaha. Il faut donc assécher cette source en digitalisant les paiements, en modernisant l’administration fiscale, en élargissant la bancarisation et en renforçant la supervision.
L’idée, c’est de ramener progressivement dans les circuits officiels tous ces flux qui aujourd’hui nourrissent le square depuis les transferts jusqu’au commerce, en passant par les services et l’épargne. Plus les transactions passent par le système bancaire et par la plateforme d’enchères, moins le marché parallèle a de carburant pour tourner. La réforme du change devient ainsi un levier pour attaquer les racines mêmes de l’informel.
Une stratégie coordonnée, pas un miracle
Bessaha insiste enfin sur la nécessité d’un pilotage cohérent de toutes ces politiques. Il appelle à “l’instauration d’un cadre intégré qui harmonise les décisions budgétaires, monétaires, de change et financières au sein d’un dispositif institutionnel formalisé”. Sans cette coordination, chaque politique risque de neutraliser les efforts des autres.
Pour lui, la réforme du marché des changes n’a de sens que si elle s’inscrit dans une stratégie plus large de diversification économique, d’amélioration du climat des affaires, de réduction des rentes et de lutte contre la corruption.
Au fond, Bessaha ne vend pas de solution miracle. Il propose une stratégie exigeante, qui demande du temps, de la cohérence et surtout une vraie volonté politique. “L’unification du marché des changes n’est pas l’aboutissement, mais le point de départ d’une transformation économique profonde”, rappelle-t-il.





