La présence algérienne en France constitue‑t‑elle le paratonnerre qui empêche les crises récurrentes entre Alger et Paris d’aller jusqu’à la rupture ? Les chiffres publiés par l’Institut national français de la statistique et des études économiques (Insee) pour 2024 illustrent l’ampleur de ce lien historique, humain et, au fond, politique, qui tempère les tentations -bien réelles-de basculer dans la confrontation ouverte. Sur les 7,7 millions d’immigrés recensés par l’Insee, 12,4 % sont nés en Algérie, soit près de 955 000 personnes. Ils devancent de peu les Marocains (915 000), suivis des Portugais (630 000) et des Tunisiens (380 000).
Cette immigration algérienne n’est pas un vestige du passé. Elle demeure active. Selon l’Insee, 8,6 % des immigrés entrés en France en 2023 sont nés en Algérie, un chiffre qui confirme que les flux migratoires entre les deux pays restent soutenus et réguliers. Les Algériens bénéficient d’un statut administratif particulier -ce qui ne signifie pas privilégié -hérité des accords bilatéraux de 1968. Ce cadre juridique spécifique continue de structurer les conditions d’installation et de séjour.
Le rapport annuel de la Direction générale des étrangers en France (DGEF), publié par le ministère français de l’Intérieur, confirme cette singularité. Au 31 décembre 2024, 649 991 ressortissants algériens disposaient d’un titre de séjour en cours de validité, faisant des Algériens la première nationalité étrangère détentrice d’un titre de séjour en France. Le rapport souligne également qu’ils constituent la première nationalité pour les titres de séjour de dix ans, conséquence directe du régime instauré par les accords de 1968.
L’acquisition de la nationalité française constitue un autre indicateur de l’intégration progressive de cette population. L’Insee précise qu’environ un tiers des immigrés vivant en France ont été naturalisés. Rapportée aux personnes nées en Algérie, cette proportion conduit à une estimation d’environ 315 000 naturalisations. L’institut ne fournissant pas de données par nationalité, ce chiffre résulte d’un calcul proportionnel, mais il est vraisemblable qu’il reflète une réalité proche de celle d’une diaspora en recomposition.
Entre 1,2 et 1,4 millions d’Algériens nés en France
Au‑delà des immigrés eux‑mêmes, les enfants nés en France de parents algériens représentent aujourd’hui une part importante de la population française d’origine étrangère. Les travaux démographiques situent cette deuxième génération entre 1,2 et 1,4 million de personnes, tandis que la troisième génération regrouperait plusieurs centaines de milliers d’individus. L’ensemble compose une population d’origine algérienne estimée entre 2,7 et 3,3 millions de personnes, l’une des plus importantes diasporas d’Europe, tant par son poids numérique que par son inscription historique.
L’Insee met également en lumière la géographie de cette présence. Les personnes nées en Algérie se concentrent dans les grandes régions urbaines et industrielles : l’Île‑de‑France, Auvergne–Rhône‑Alpes, Provence‑Alpes‑Côte d’Azur et les Hauts‑de‑France. Ces implantations reflètent l’histoire de l’immigration algérienne, marquée par le travail dans les mines, les usines et les ports, mais aussi la continuité des réseaux familiaux et sociaux qui orientent les trajectoires d’installation.
Sur le plan économique enfin, les immigrés originaires d’Afrique du Nord présentent un taux d’emploi inférieur à la moyenne nationale et un taux de chômage plus élevé. Les Algériens restent fortement représentés dans le bâtiment, le transport, la restauration et les services à la personne. Toutefois, une montée progressive des profils qualifiés est observée, notamment parmi les étudiants, les ingénieurs, les médecins et les jeunes diplômés qui rejoignent les filières scientifiques et technologiques des universités françaises.
Ainsi, les données de l’Insee et de la DGEF dessinent une diaspora algérienne à la fois ancienne, nombreuse et en transformation. Elle occupe une place centrale dans la démographie française, tout en continuant de se renouveler par de nouveaux flux, par l’intégration juridique et par l’ascension progressive de nouvelles générations.
Cette présence humaine massive, enracinée et multiforme constitue l’un des amortisseurs silencieux des tensions politiques entre Alger et Paris, qui rend la rupture toujours improbable, sinon impossible.
IMMIGRÉS NÉS À L’ÉTRANGER EN FRANCE (NOMBRE ESTIMÉ)
Algérie ██████████████████████████████████████ ≈ 955 000
Maroc ████████████████████████████████████░░ ≈ 915 000
Portugal ████████████████████████░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 630 000
Tunisie ████████████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 380 000
Italie ███████████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 355 000
Turquie ██████████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 300 000
Espagne ████████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 250 000
Mali ███████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 200 000
Sénégal ██████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 180 000
Chine ██████░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ≈ 170 000