Les récents affrontements dans la capitale libyenne Tripoli signalent une reconfiguration profonde du paysage sécuritaire, analysée par le chercheur en géopolitique Raouf Farah. L’Algérie exprime sa “vive inquiétude” face à cette escalade qui menace la stabilité régionale.
L’élimination d’Abdelghani al-Kikli, connu sous le nom de Ghneiwa, marque un tournant dans l’équilibre précaire des forces armées à Tripoli. Ce bouleversement s’inscrit dans une stratégie plus large de restructuration sécuritaire voulue “au plus haut niveau de l’État”, selon l’analyse exclusive que le chercheur en géopolitique Raouf Farah a accordée à Maghreb Emergent.
“Après l’élimination d’Abdelghani al-Kikli, dit Ghneiwa, les forces les plus susceptibles de renforcer leur contrôle à Tripoli sont la Brigade 444, soutenue par Dbeibah, la brigade 111, et les unités liées à Emad Trabelsi et les groupes affiliés au Zintan”, analyse Raouf Farah.
Cette évolution correspond à la politique de dissolution de certains groupes armés, d’abord annoncée puis formalisée par décret gouvernemental. Si cette montée en puissance pourrait “renforcer temporairement la stabilité autour du gouvernement d’union”, elle risque également d’exacerber les tensions avec “la force madkhaliste du Radaa dirigée par Abderraouf Karra”, prévient le chercheur.
Le danger est d’autant plus élevé que le groupe de Karra “contrôle le quartier historique de Souq al-Jumuaa et jouit d’une légitimité populaire appréciable ». Cette configuration pourrait déboucher sur « un nouveau cycle de violence, à court ou moyen terme », selon Farah.
Une opération orchestrée aux plus hauts niveaux
Les affrontements du 12 mai ne seraient pas le fruit du hasard. Raouf Farah les qualifie de “réaménagement délibéré de l’architecture sécuritaire de Tripoli, voulu au plus haut niveau de l’État”. Cette analyse suggère une stratégie coordonnée visant à remodeler l’équilibre des forces dans la capitale.
Si ces violences ne “menacent pas directement la production pétrolière” dans l’immédiat, puisque les zones stratégiques de Sharara et El Feel restent sous le contrôle de “forces loyales à Haftar et à l’Est”, l’expert n’exclut pas un “effet domino” si les tensions venaient à s’étendre, notamment à la ville de Zawiya, dont les groupes armés “ont déjà démontré leur capacité de nuisance”.
L’Algérie appelle au dialogue entre “frères libyens”
Face à cette détérioration de la situation, l’Algérie a exprimé sa position à travers un communiqué du ministère des Affaires étrangères publié mardi. Le pays “suit avec une vive inquiétude et une profonde préoccupation la reprise des affrontements armés entre frères libyens dans la ville de Tripoli”, indique le document qui déplore les « pertes en vies humaines et la déperdition des ressources » du pays voisin.
Alger réitère “son appel sincère et pressant à l’ensemble des frères libyens pour qu’ils s’engagent dans la voie du dialogue en tant que seule issue pour surmonter les différends”. Le communiqué exhorte les parties libyennes à “faire preuve d’un sens élevé de responsabilité nationale et placer l’intérêt suprême du peuple libyen au-dessus de toute considération conjoncturelle ou calcul étroit”.
Pour l’Algérie, qui partage une longue frontière avec la Libye et a toujours prôné une solution politique inclusive, “la Libye, pays frère, a besoin, aujourd’hui plus que jamais, de l’unité de tous ses enfants et de leur réconciliation, loin de la division et de la discorde”. Le pays continue de soutenir “le processus politique conduit sous l’égide des Nations Unies vers une solution tant attendue”.
Cette nouvelle escalade de violence intervient dans un contexte déjà complexe où la Libye reste divisée entre plusieurs autorités rivales. La reconfiguration sécuritaire à Tripoli pourrait soit consolider temporairement le pouvoir du gouvernement d’union nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibah, soit ouvrir la voie à de nouveaux affrontements aux conséquences imprévisibles.
L’instabilité persistante en Libye continue d’inquiéter ses voisins, particulièrement l’Algérie, pour qui la sécurité régionale et la stabilité du Maghreb restent des priorités absolues. La communauté internationale, quant à elle, semble peiner à favoriser une solution durable à la crise libyenne, malgré les efforts déployés sous l’égide des Nations Unies.