Mouloud Hedir répond à Pascal Lamy : « Mes arguments étaient parfaitement exacts et documentés » | Maghreb Émergent

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Mouloud Hedir répond à Pascal Lamy : « Mes arguments étaient parfaitement exacts et documentés »

Par Yazid Ferhat
13 mai 2017

J’ai le regret d’insister mais je confirme totalement l’analyse initiale que j’avais développée sur chacun de ces deux points et que ceux qui le souhaitent peuvent lire ou relire sur le site de Maghreb Emergent.

 

Je reste perplexe devant cette réponse à ma lettre ouverte publiée par Maghreb Emergent le 17 avril dernier. Elle me semble avoir été rédigée avec un peu trop d’empressement, sinon de légèreté. Mr Lamy conteste en effet les pressions qu’il a, en tant que Commissaire européen au commerce, fait peser sur la négociation algérienne et réfute d’un revers de main les deux arguments auxquels je faisais référence, l’un lié à la consolidation malvenue des tarifs agricoles de l’Algérie et l’autre portant sur le régime lié à l’établissement des sociétés européennes en Algérie.

J’ai le regret d’insister mais je confirme totalement l’analyse initiale que j’avais développée sur chacun de ces deux points et que ceux qui le souhaitent peuvent lire ou relire sur le site de Maghreb Emergent.

En l’occurrence, il est loisible à tout un chacun de vérifier que, contrairement à ce que dit Mr Lamy, mes arguments étaient parfaitement exacts et documentés ; cette vérification est d’autant plus aisée que les dispositions pertinentes de l’accord d’association sont rédigées de manière claire et précise et ne souffrent d’aucune forme d’ambiguïté.   

1)- Pour ce qui est de la question des tarifs agricoles, l’article 17, alinéa 1 de l’accord d’association stipule que : « Aucun nouveau droit de douane à l’importation ou à l’exportation, ni taxe d’effet équivalent, n’est introduit dans les échanges entre la Communauté et l’Algérie et ceux appliqués à l’entrée en vigueur du présent accord ne seront pas augmentés ».

La consolidation tarifaire étant, selon la définition des accords de l’OMC, l’engagement de ne pas relever un taux de droit de douane au-dessus d’un niveau convenu, il n’est pas contestable que les taux de droits de douane applicables aux importations de l’Algérie ont été bel et bien consolidés et cela pour chacune des 6000 positions de son tarif douanier, y compris donc celles concernant les produits agricoles. Pour dissiper tout malentendu sur le sujet, ajoutons que l’article 18, alinéa 4 de l’accord prévoit que « Les deux parties se communiquent les droits de base qu’elles appliquent respectivement le 1er janvier 2002 ».     Comme les taux de droits applicables à la mise en vigueur de l’accord étaient (et sont toujours) de 5%, 15% et 30%, chacune des positions du tarif douanier s’est vue fixer un plafond maximal correspondant, selon le cas, à 5%, 15% ou 30% dans le meilleur des cas.

Et encore une fois, si l’on pouvait comprendre qu’un tel engagement puisse être demandé à l’Algérie dans le cas des produits industriels et pour les besoins de mise en place du projet de zone de libre-échange, il n’était pas nécessaire de lui infliger une consolidation de son tarif agricole, sachant, d’une part, les contraintes lourdes pesant sur son économie agricole et d’autre part, l’âpreté des négociations auxquelles elle aurait à faire face, en la matière, pour les besoins de son accession future à l’OMC. 

2)- S’agissant de la négociation en matière de services et, plus précisément, sur la question du droit d’établissement des sociétés européennes en Algérie, et contrairement à ce qu’affirme Mr Lamy, l’article 32 de l’accord d’association prévoit beaucoup plus qu’un traitement équitable au bénéfice des sociétés européennes et beaucoup plus que ce qui est garanti aux sociétés originaires de Chine, d’Egypte, de Jordanie, des USA ou de tout autre partenaire. Cet article 32 dit textuellement ceci :

« (a) L’Algérie réserve à l’établissement de sociétés communautaires sur son territoire un traitement non moins favorable que celui accordé aux sociétés de pays tiers.

(b) L’Algérie réserve aux filiales et succursales de sociétés communautaires établies sur son territoire conformément à sa législation, un traitement non moins favorable, en ce qui concerne leur exploitation, que celui accordé à ses propres sociétés ou succursales ou à des filiales ou succursales algériennes de sociétés de pays tiers, si celui-ci est meilleur. »

Si l’alinéa (a) pose le principe de non-discrimination entre sociétés européennes et sociétés de pays tiers et ne soulève aucune objection, en revanche l’alinéa (b) prévoit d’octroyer le traitement national aux sociétés européennes, c’est-à-dire qu’il fait bénéficier ces dernières du même régime que celui accordé aux sociétés algériennes. Or, il se trouve que la capacité à négocier des limitations au principe du traitement national (en d’autres termes, la capacité à ménager un traitement préférentiel aux entreprises locales) est un avantage majeur auquel l’Algérie aura ainsi été forcée de renoncer.

De plus, comme ce régime exorbitant va devoir être élargi plus tard à l’ensemble des membres de l’OMC, autant dire que c’est l’ensemble de la future négociation algérienne à l’OMC qui a été ainsi vidée de sa substance. A ma connaissance, aucun pays membre de l’OMC n’a, à ce jour, accordé le traitement national systématique aux entreprises étrangères sur son territoire. Même l’Union européenne, avec la toute-puissance de ses entreprises et de son économie, n’accorde pas pareil avantage systématique aux entreprises étrangères sur son propre marché.      

3)- Je veux donc dire à Mr Lamy qu’il se trompe dans son évaluation : ce sont bien deux conditions léonines qui ont été arrachées à l’Algérie. Je le lui dis sans aucune acrimonie. Je comprends parfaitement qu’avec les lourdes responsabilités qu’il a assumées depuis, il puisse avoir oublié les termes d’une négociation qui a eu cours voilà bientôt près de vingt ans. Surtout, sa mission à lui consistait à promouvoir les intérêts commerciaux de l’Union européenne, pas ceux de l’Algérie.

Pour l’heure, ce qui est attristant, c’est que les autorités qui ont pour charge de défendre les intérêts algériens ne semblent pas du tout intéressées par ce débat qui les concerne pourtant au premier chef. Et pour tout dire, ma lettre ouverte à Mr Lamy leur était aussi destinée, indirectement. Même si je ne partage pas son point de vue, je reconnais que lui du moins aura eu l’élégance de répondre, ce dont je lui sais gré très sincèrement. On peut difficilement lui tenir rigueur de méconnaitre les intérêts économiques et commerciaux d’un Etat étranger quand, par négligence ou par incompétence, les responsables de ce même Etat se soucient aussi peu de les défendre. 

Mouloud Hedir, économiste- consultant en commerce extérieur 

12 mai 2017

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