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Energie

Pour développer le nucléaire, il faut qu’il représente entre 15 et 20% du mix énergétique (Tewfik Hasni)

Par Yazid Ferhat
15 mars 2016

 « Les gisements d’uranium ne peuvent faire fonctionner les centrales nucléaires que pendant 50 ans. L’Algérie, avant d’examiner l’option nucléaire comme alternative, doit évaluer les coûts,  l’indépendance, la durabilité, et les risques sécuritaires et environnementaux d’un programme nucléaire. Elle doit ensuite faire des arbitrages pour choisir le modèle énergétique le moins coûteux et le plus durable », estime Tewfik Hasni.

  

 

L’Algérie est déterminée à aller vers une nouvelle ère  énergétique. Le programme des énergies renouvelables a été hissé  le 22 février dernier, au rang de priorité nationale. Ce programme prévoit  la génération de 22 000MW d’énergie à partir de sources renouvelable (solaire thermique, photovoltaïque, éolien), à l’horizon 2030, soit 40% des besoins nationaux en électricité. Mais qu’on est-t-il du programme de régénération d’électricité à base du nucléaire prévu pour 2020-2025 ? Interrogé par Maghreb Emergent, le consultant en transition énergétique Tewfik Hasni, précise d’emblée que le nucléaire constitue une filiale dans le mix énergétique au même  titre que les énergies renouvelables et les énergies fossiles. Il estime toutefois que cette question doit être examinée comme une alternative aux autres sources énergétiques.  

 

Une centrale nucléaire coûte plus cher qu’une centrale thermique

 

 Cette option pour le nucléaire « doit être soumise à des paramètres d’évaluation qui sont le coût, l’indépendance, la protection, la sécurité et la durabilité », avance Tewfik Hasni, également ancien PDG de NEAL, la filiale commune de Sonatrach et Sonelgaz dans le domaine des énergies renouvelable. L’analyse du coût de production doit englober le coût de démantèlement qui avoisine celui de la construction,  et le coût du stockage. « La construction d’une centrale nucléaire coute plus que la construction d’une centrale thermique », compare-t-il.

 

Durée de vie maximum de 50 ans 

 

L’Algérie dispose actuellement de deux  réacteurs nucléaires. Le premier ( Nour) de Draria, peut générer  entre 1 et 3 mégawatts thermiques.  Le second réacteur est  celui d’Essalem de  Ain Ouessara. Installé en partenariat avec les chinois en 1980, sa capacité de production est de 15megawattes thermiques. « Si l’Algérie veut réellement développer le nucléaire, celui-ci doit représenter au moins 15 à 20% du mix énergétique, ce qui représente huit centrales nucléaires », estime Tewfik Hasni.

Sur la durabilité de ces éventuelles centrales nucléaires, Tewfik Hasni explique que nos gisements  d’uranium ne peuvent faire fonctionner qu’une centrale nucléaire pendant 50 ans, ou deux centrales pendant 25 ans. « Ce dernier choix a été privilégié par l’ancien ministre de l’énergie Chakib Khelil », rappelle-t-il. En plus du savoir-faire que requiert un tel programme, Tewfik Hasni évoque le paramètre de la disponibilité des énormes quantités d’eau nécessaire au refroidissement de ces centrales.  « La seule possibilité d’assurer un approvisionnement d’eau constant à ces installations, c’est de les mettre sur les bandes côtières. Or, c’est dans cette zone   qu’il ya la plus grande densité de la population du pays. A coté de ce facteur, il faudrait prévoir le passage d’un navire ennemi devant ces centrales, ou une catastrophe naturelle», prévient-il.

 

Il faut construire un savoir  nucléaire et un savoir de contrôle des risques

 

Le choix du nucléaire devrait aussi prendre en considération tous les risques d’explosion et donc, avoir une maîtrise du contrôle sécuritaire de ces centrales. A ce propos, l’ancien Pdg de NEAL rappelle qu’aucun acteur nucléaire occidental n’a voulu prendre le risque de construire une centrale nucléaire pour l’Algérie, sauf, la France, qui a conditionné cette éventuelle construction par le  contrôle de cette dernière depuis Paris.  «  L’ancien président français Nicolas Sarkozy avait proposé en 2007 la signature d’un accord de partenariat avec l’Algérie pour la génération du nucléaire civil. Le programme sera télécommandé depuis la France. Je me demande si on peut parler d’un accord avec une telle condition », s’interroge M. Hasni sur l’indépendance qu’aurait le pays sur ses éventuelles centrales nucléaires. « L’Algérie aura à construire tout un savoir nucléaire avant de se lancer dans cet investissement », insiste-t-il.

 

Définir tout d’abord un modèle de consommation énergétique précis

 

Avant d’opter pour le développement du nucléaire comme source alternative propre, Tewfik Hasni estime que l’Etat doit évaluer tout d’abord les besoins réels de la croissance de la consommation énergétique. « Il n’y a jamais eu de modèle de consommation énergétique précis », regrette-t-il. Il informe toutefois qu’un appel à la discussion d’un modèle de consommation énergétique national a été lancé par des experts lors du dernier salon  nord-africain des fournisseurs de produits et services pétroliers et gaziers (Napec).

Tewfik Hasni voit aussi que l’Algérie doit apprendre des expériences des autres pays ayant développé l’énergie nucléaire. «  Si certains pays comme le Japon reviennent sur leur moratoire sur le nucléaire surtout après les décisions de réduction des énergies fossiles prises à la Cop21, d’autres se sont débarrassés de leurs centrales, comme  l’a fait la France en temps de crise, laissant disparaître une industrie et un savoir », note-t-il. Et d’ajouter :« Il ne faut pas oublier que le développement de tout programme nucléaire est assujetti aux considérations politiques et stratégiques, et que l’Iran reste le meilleur exemple sur la complexité et la sensibilité de cette question ».

 

L’état doit faire des arbitrages

 

Le programme de transition énergétique est très coûteux pour l’Algérie. Il est estimé entre  60 à 120 milliards de dollars. Le financement de ce programme est donné comme le défi majeur de cette transition énergétique par nombreux spécialistes. Mais l’état doit selon M. Hasni,  faire des arbitrages pour décider de l’adoption d’un modèle de génération des énergies propres. « Le programme de transition énergétique s’est heurté au grand problème de financement.  L’Etat doit faire des arbitrages et choisir le secteur  le plus durable ». Ce choix devrait se poser selon M. Hasni sur les centrales thermiques solaires et les centrales hybrides.

Enfin, pour ce qui est des mémorandums et accords sur le développement des activités nucléaires « civiles », ratifiés par l’Algérie  avec Etats-Unis, la Russie, la France, la Chine, l’Argentine, le Brésil, et autres, Tewfik Hasni dit que ces accords ne peuvent être commentés ni analysés car « leur contenus sont complètement méconnus ».

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