Entre Alger et Rome, la relation prend des allures de lune de miel politique et économique. Dans une conjoncture régionale et internationale particulièrement instable, l’Algérie et l’Italie renforcent un partenariat ancré dans l’histoire, mais désormais tourné résolument vers l’avenir. La visite du président Abdelmadjid Tebboune à Rome a marqué un tournant décisif, symbolisé par la signature d’une quarantaine d’accords bilatéraux.
Dix de ces accords concernent des domaines aussi stratégiques que les hydrocarbures, la défense, la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale. Une trentaine d’autres touchent des secteurs économiques tels que l’agro-industrie, la pharmacie, les transports et les infrastructures. Un signe clair que la coopération entre les deux pays prend un aspect multidimensionnel. « Nos relations bilatérales ont atteint un niveau d’intensité et de solidité jamais atteint auparavant », a déclaré la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni. Abdelmadjid Tebboune, de son côté, a salué « une ferme volonté politique de renforcer nos relations historiques et d’élargir davantage les liens de coopération ».
Le sommet a aussi été marqué par une rencontre solennelle entre Tebboune et le pape Léon XIV, soulignant la portée symbolique et culturelle de cette visite au-delà des enjeux purement économiques.
Un héritage historique devenu socle d’une alliance stratégique
La relation entre Alger et Rome ne date pas d’hier. Elle repose sur un socle mémoriel et politique solide. L’Algérie n’a jamais oublié le soutien italien durant la guerre de libération nationale, incarné notamment par Enrico Mattei, fondateur du géant énergétique ENI, farouche défenseur du droit des peuples à disposer de leurs ressources. De même, au plus fort de la décennie noire, dans les années 1990, alors que l’Algérie était isolée diplomatiquement, l’Italie est restée aux côtés d’Alger. La compagnie Alitalia a été la seule à maintenir ses vols vers l’Algérie lorsque toutes les autres compagnies européennes suspendaient leurs liaisons.
Ce capital symbolique s’est aujourd’hui transformé en un levier géopolitique majeur. Le gazoduc Transmed, qui relie les deux pays via la Tunisie, constitue l’épine dorsale de leur partenariat énergétique. Avec la guerre en Ukraine et la baisse drastique des livraisons russes, l’Algérie est devenue le premier fournisseur de gaz naturel de l’Italie, assurant plus du tiers de ses besoins. Le 7 juillet, Sonatrach et ENI ont signé un nouveau contrat de 1,35 milliard de dollars pour le développement des hydrocarbures dans le bassin de Berkine Sud, consolidant davantage ce lien vital.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’Algérie est le premier partenaire commercial de l’Italie en Afrique, avec un volume d’échanges dépassant 14 milliards d’euros. L’Italie est aujourd’hui le premier client et deuxième fournisseur de l’Algérie, devant la France et l’Allemagne, avec des investissements italiens estimés à 8,5 milliards d’euros.
Un choix stratégique face à une Europe fragmentée
Ce resserrement des liens entre l’Algérie et l’Italie se fait sur fond de tensions croissantes avec d’autres capitales européennes, notamment Paris. Depuis la reconnaissance par Emmanuel Macron en juillet 2023 de la marocanité du Sahara occidental, les relations entre Alger et Paris se sont sérieusement détériorées.
L’incarcération de l’écrivain Boualem Sansal, le refus de l’Algérie de rapatrier ses ressortissants sous le coup d’OQTF, ou encore les restrictions décidées par le ministère français de l’Intérieur à l’encontre de certains responsables algériens ont contribué à plomber durablement la relation. Aujourd’hui, les canaux de communication sont presque à l’arrêt, et l’ambassadeur d’Algérie à Paris n’a toujours pas regagné son poste.
Avec Bruxelles, le climat est également tendu. L’Union européenne a récemment décidé de recourir à l’arbitrage contre l’Algérie en représailles aux restrictions commerciales imposées par cette dernière. À Alger, on soupçonne Paris d’avoir influencé cette décision. Mais au-delà de cette hypothèse, le contentieux tient essentiellement au positionnement politique des pays européens sur le Sahara occidental.
Contrairement à l’Italie, qui prône une solution « mutuellement acceptable » sous l’égide de l’ONU, plusieurs pays européens ont pris parti pour le plan marocain d’autonomie, ce que l’Algérie considère comme une ligne rouge.
Dans ce contexte, le choix de l’Italie apparaît stratégique pour Alger : préserver ses parts de marché énergétique en Europe, s’appuyer sur un partenaire influent, mais neutre sur les dossiers sensibles, et renforcer sa doctrine de multilatéralisme dans ses relations extérieures. À plus long terme, cette alliance pourrait permettre à l’Algérie de contrebalancer l’influence française au sein de l’UE, tout en consolidant sa stature de puissance régionale indépendante.
Déjà, ce rapprochement suscite des réactions en France, où certaines voix dénoncent une politique étrangère trop condescendante envers Alger. Les retombées sont visibles : les investissements français en Algérie se sont contractés, tout comme les importations algériennes en provenance de France, au profit de partenaires plus « stables » selon Alger.
La relation entre Alger et Rome ne se limite plus à un simple partenariat énergétique. Elle s’impose comme un véritable axe stratégique à l’heure des recompositions géopolitiques, notamment en Méditerranée et en Afrique du Nord.