Le 13ᵉ sommet hispano-marocain de haut niveau qui se tient à Madrid les 3 et 4 décembre 2025 est présenté par Madrid et Rabat, comme l’expression d’une étape consolidée dans leurs relations bilatérales. Mais si au sommet tout baigne, “en bas”, tout ne va pas: un espagnol sur quatre voit le Maroc comme une “menace”.
Depuis le soutien apporté par le président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, au plan d’autonomie proposé par le Maroc pour le Sahara occidental, l’exécutif espagnol décrit la relation avec Rabat comme un partenariat stratégique à long terme. Les deux gouvernements mettent en avant l’intensification des échanges économiques, l’approfondissement des projets d’interconnexions énergétiques, la coopération en matière migratoire et sécuritaire, ainsi que la coordination concernant la Coupe du monde 2030, qui doit être organisée conjointement par l’Espagne, le Portugal et le Maroc.
Le vocabulaire officiel insiste sur l’idée d’une confiance retrouvée et d’une stabilité partagée, avec une volonté affichée de considérer les crises des années précédentes comme des épisodes clos.
Une semaine avant la tenue du sommet, le Centre de recherches sociologiques (CIS) a publié, le 27 novembre 2025, son baromètre mensuel. Le CIS, pour rappel, est un organisme public autonome rattaché directement à la présidence du gouvernement espagnol.
Sa mission est d’étudier la société espagnole au moyen d’enquêtes d’opinion régulières fondées sur des échantillons représentatifs de la population. Ses résultats alimentent les travaux universitaires, les analyses médiatiques et les décisions publiques.
Dans ce baromètre, près d’un quart des personnes interrogées envisagent comme plausible la possibilité d’un conflit armé avec le Maroc. Plus de la moitié désignent le Maroc comme la principale menace extérieure, devant la Russie et les États-Unis. Ce qui traduit un décalage important entre la dynamique des relations officielles et la perception dominante au sein de la population espagnole.
Une normalisation contestée
Le gouvernement Sánchez présente la normalisation des relations avec Rabat comme un choix stratégique. Son but est de garantir la coopération sur des questions prioritaires, en particulier les flux migratoires et la sécurité. L’inflexion de la position espagnole sur le Sahara occidental est motivée par ces enjeux, l’exécutif l’assumant, au grand dam des partenaires de gauche du PSOE, comme un choix pragmatique.
Les épisodes de tension qui ont marqué la période récente — la crise migratoire de Ceuta en 2021, l’accueil en Espagne du leader du Front Polisario pour des soins médicaux, ou encore la polémique liée à l’usage du logiciel Pegasus — sont désormais “oubliés” ou, en tout cas, ne conditionnent pas la relation bilatérale.
Les enquêtes du CIS et du Real Instituto Elcano montrent toutefois que, dans les représentations de l’opinion publique, le Maroc occupe une place singulière. Il apparaît fréquemment en tête des pays vus comme une menace potentielle, souvent avant la Russie ou les États-Unis, tandis que l’Algérie, voisine directe et acteur majeur du Maghreb, est très rarement citée.
L’opinion espagnole semble garder encore le souvenir de la crise migratoire de Ceuta en 2021. Et aussi, les revendications politiques du Maroc sur les présides de Ceuta et Melilla, la persistance d’un soutien notable d’une partie de la société espagnole à la cause sahraouie ; et l’attention portée par certains analystes à la coopération militaire entre le Maroc et Israël.
Un article d’El Faro de Ceuta, cite le spécialiste Carlos Echeverría, directeur de l’Observatorio de Ceuta y Melilla, qui évoque un « dilemme de sécurité » pour l’Espagne. Il a estimé que la montée en capacités technologiques du Maroc, combinée aux revendications sur Ceuta et Melilla et à la pression migratoire persistante aux frontières sud, constitue un ensemble de facteurs pouvant nourrir les inquiétudes observées dans les sondages.
Une opinion fragmentée
Les perceptions ne sont cependant pas uniformes selon les orientations politiques. Les enquêtes indiquent que la tendance à considérer le Maroc comme une menace est particulièrement marquée parmi les électeurs de droite et d’extrême droite. Dans ces secteurs, les questions liées à Ceuta et Melilla, à l’immigration et au Sahara occidental sont fréquemment abordées de manière globale. Comme une partie de la gauche, ces formations de droite reprochent au gouvernement Sánchez d’avoir modifié la position traditionnelle de l’Espagne pour répondre, selon elles, aux exigences du Maroc, en échange d’une diminution des tensions frontalières. La bonne relation entre Madrid et Rabat s’accompagne d’un niveau assez élevé de méfiance dans l’opinion publique espagnole.





