Le départ de Rachid Hachichi, remplacé par Nourredine Daoudi à la tête de Sonatrach, marque un nouvel épisode dans une longue série de bouleversements. En quinze ans, l’entreprise publique algérienne, fleuron de l’économie nationale, a vu défiler neuf dirigeants pour dix mandats. Une instabilité sans équivalent dans l’univers des compagnies nationales d’énergie, où la longévité au sommet est plutôt la règle que l’exception.
Une direction à rotation rapide
Depuis la chute de Mohamed Meziane en 2010, Sonatrach a connu un chapelet de PDG : Noureddine Cherouati, Abdelhamid Zerguine, Saïd Sahnoun, Amine Mazouzi, Abdelmoumen Ould Kaddour, Rachid Hachichi (deux fois), Kamel-Eddine Chikhi et Toufik Hakkar. Très peu ont eu le temps de s’installer.
Les plus endurants, Amine Mazouzi (2015-2017) et Toufik Hakkar (2020-2023), n’ont pas dépassé trois ans au poste. La moyenne s’établit autour de dix-huit mois. Dans une entreprise où les plans d’investissement se comptent en décennies, cette fréquence de remplacement désorganise la continuité stratégique et brouille les priorités industrielles. Chaque dirigeant arrive avec un plan, rarement mené à terme.
Ailleurs, la stabilité prévaut
Dans le reste du monde énergétique, la stabilité managériale est la norme. Chez Gazprom, Alexeï Miller dirige le groupe depuis 2001. Saudi Aramco n’a connu qu’un seul PDG depuis 2015 : Amin H. Nasser. Qatar Energy reste sous la conduite de Saad Sherida al-Kaabi depuis 2014. Même au Nigeria, pourtant en réforme permanente, la NNPC n’a changé de direction qu’à trois reprises depuis 2010.
Les exceptions sont rares. La NOC libyenne, marquée par le chaos politique, a compté cinq dirigeants en quinze ans. La PDVSA vénézuélienne a vu passer plusieurs présidents, reflet de l’effondrement économique et de la polarisation du pays. Mais même dans ces cas extrêmes, le rythme reste inférieur à celui observé en Algérie.
Avec un PDG par an et demi, Sonatrach bat tous les records : son taux de rotation est six fois plus élevé que celui de Qatar Energy et quinze fois supérieur à celui de Gazprom.
Une instabilité aux causes profondes
Ce phénomène ne relève pas du hasard. Il s’enracine dans l’histoire récente du secteur algérien.
Les séquelles de l’affaire Chakib Khelil, au tournant des années 2010, ont durablement altéré la confiance entre l’État et la direction de Sonatrach. Depuis, chaque nomination est scrutée sous l’angle de la loyauté politique et du risque de scandale.
À cela s’ajoute une gouvernance hypercentralisée, où la présidence conserve un contrôle direct sur la stratégie de l’entreprise. Les dirigeants successifs disposent d’une marge d’action étroite : au moindre désaccord ou soupçon, la sanction tombe.
Le climat post-Hirak, marqué par la peur de la corruption et l’obsession de la transparence, a accentué cette fragilité. Les responsables préfèrent éviter les décisions risquées plutôt que de s’exposer. Enfin, les rivalités institutionnelles entre Sonatrach, le ministère de l’Énergie et l’agence Alnaft rendent la chaîne de commandement instable et brouillent la responsabilité.
Un défi de confiance et de gouvernance
Avec Nourredine Daoudi, les autorités tentent de rétablir une continuité technocratique. Mais la question dépasse les individus : elle touche à la culture administrative elle-même. Dans les grandes compagnies d’État, la stabilité du leadership conditionne la crédibilité industrielle et la confiance des partenaires étrangers.
Sonatrach, malgré ses moyens colossaux et son rôle pivot dans la sécurité énergétique européenne, souffre d’un mal chronique : la succession rapide de ses dirigeants empêche toute réforme durable.
L’entreprise ne manque ni de compétences ni de ressources, mais d’un espace politique stable pour les exercer. Tant que le siège du PDG restera l’un des plus exposés du pays, la première entreprise d’Afrique continuera d’être un symbole paradoxal : un géant énergétique, mais un colosse managérial aux pieds d’argile.





