Les téléphones volés à Londres ne finissent pas tous entre les mains de receleurs locaux. Une part non négligeable prend la direction de l’Algérie, devenue, aux côtés de la Chine, l’un des débouchés privilégiés d’un trafic international qui brasse des millions. C’est ce que révèlent les récentes perquisitions menées par la police britannique dans la capitale, où plus de 80 000 smartphones ont été dérobés en 2024, un record européen.
Les opérations menées en septembre dernier ont mis au jour une filière structurée, à la fois logistique et financière. Deux mille appareils et près de 200 000 livres sterling en liquide ont été saisis dans plusieurs boutiques londoniennes, preuve d’un système à l’échelle industrielle. L’enquête a débuté de manière presque anodine : une victime avait activé la fonction Localiser de son iPhone volé. La piste a conduit les enquêteurs jusqu’à un entrepôt près de l’aéroport d’Heathrow, où ils ont découvert, la veille de Noël, un millier d’iPhone dissimulés dans des colis étiquetés “batteries” et destinés à Hong Kong. « Ce n’était clairement plus de la petite délinquance, mais une opération industrielle », a résumé le détective Mark Gavin, cité par le New York Times.

Crédit photo : Metropolitan Police
De Londres à Alger via des circuits bien huilés
Les enquêteurs estiment qu’une partie importante des téléphones volés à Londres est réexpédiée vers la Chine et l’Afrique du Nord, principalement vers l’Algérie, où la demande pour des modèles récents nourrit un marché informel très actif. Londres, devenue la capitale européenne du vol de smartphones, alimente ainsi un commerce parallèle transcontinental : appareils collectés dans les quartiers centraux, reconditionnés dans des entrepôts, puis expédiés par lots vers des marchés émergents.
Sur place, ces téléphones sont revendus à des prix bien inférieurs à ceux du circuit légal, mais suffisamment élevés pour assurer une marge considérable aux réseaux. Dans certains cas, les appareils récents atteignent jusqu’à 5 000 dollars sur le marché noir asiatique, selon la police britannique.
Un trafic symptomatique d’une économie informelle mondialisée
L’affaire éclaire un phénomène plus large : la connexion croissante entre les marchés informels africains et asiatiques autour de biens électroniques de seconde main. En Algérie, où les importations de smartphones restent strictement encadrées, ces filières offrent une alternative parallèle aux circuits officiels, tout en échappant au contrôle fiscal et douanier.
Pour les autorités britanniques, cette économie de la revente illégale s’est nourrie de coupes budgétaires massives dans la police durant les années 2010, qui ont longtemps relégué le vol de téléphones au rang de délit mineur. Les gangs ont eu tout le loisir de structurer leurs flux, jusqu’à bâtir une chaîne d’exportation digne d’un commerce légal.
En exploitant les données de géolocalisation fournies par les victimes, la police britannique tente désormais de remonter la chaîne du trafic, d’en cartographier les routes et d’en repérer les points d’entrée en Afrique et en Asie. Pour les pays de destination, dont l’Algérie, cette traque numérique met au jour un système hybride où le marché noir s’appuie sur les mêmes canaux logistiques et financiers que le commerce légal. Ces flux de smartphones déplacent aussi de l’argent. Des liquidités qui circulent, se convertissent, et finissent parfois par se fondre dans l’économie formelle.





