Cela fait 53 années que mon pouls se mélange à celui des Algériens au stade du 05 juillet. Capteur sismique des convulsions du pays. Oracle et témoin de son histoire contemporaine. J’étais donc naturellement présent dans la tribune supérieure samedi dernier pour célébrer le neuvième titre de champion d’Algérie du MCA. La chute de 11 supporters de La Tribune supérieure à la fin du match est une ligne dramatique de plus qui raconte l’Algérie. Elle résume ses flamboyances et ses archaïsmes . D’un côté, une passion populaire survoltée. Des dizaines de milliers de supporters en mode « centrale énergétique » déployée au soleil de l’été. Répertoire choral intarissable, fresques vertigineuses de créativité et de couleurs. La gentrification de l’accès au football de haut niveau qui est entrain de lentement éteindre l’ambiance des stades en Angleterre et ailleurs en Europe n’a pas touché le football algérien. C’est la bonne nouvelle. De l’autre coté, une gouvernance politique malade de son peuple et de ses équipements. C’est la première pensée qui nous traverse face au déploiement policier ultra massif aux abords du stade. La défiance est affichée en un magma de casques et de matraques. La peur du peuple et l’incompétence dans la gestion des équipements publics sont réunis ce samedi 21 juin 2025 au stade du 05 juillet. Plus que de coutume. En réalité les deux sont imbriqués. C’est le sécuritaire qui décide de l’agenda et des domiciliations du football. Conséquence, jamais le stade du 05 juillet – et sa misérable pelouse – n’ont autant accueilli de matchs sur une seule saison depuis la fin du tartan. Sauf que nous sommes en 2025 et beaucoup d’argent- plus de 400 millions de dollars – a été dépensé pour équiper le pays en stades aux normes FIFA. A quoi donc servaient pendant ce temps les deux nouveaux stades de Baraki et de Douera ? Inutilisables en début de saison. Le premier pour cause de dégradation de la pelouse pendant l’été – faillite de la gestion – et le second pour cause de décès dès le match inaugural d’un supporter du MCA – peur du peuple, assaut inexpliqué des gendarmes mobiles. Les deux stades sont devenus opérationnels depuis le début de 2025. Celui de Baraki, Nelson Mandela, a été utilisé avec parcimonie en championnat. Le stade Ali La Pointe de Douera est resté fermé. Il aurait pu soulager le stade du 05 juillet dans les matchs du MCA hors derbys algérois. Une société de gestion déléguée du stade, filiale – une de plus – de Sonatrach a été créée et a récupéré l’opérationnel sur site. Mais personne n’a décidé de la reprise d’activité de cet équipement, ouvert trop vite au public en septembre dernier, puis déserté comme d’un lieu maudit, un lieu à problème pour la gestion du peuple.
Que les choses soient claires. Une partie des Ultras du MCA sont un thème légitime d’anxiété sécuritaire. Pas plus et pas moins que ceux de Fenerbahce ou de Boca Junior. Mais comme tous les fous amoureux de leurs clubs qui font la dangereuse beauté du football, ils ne vont pas au stade pour y mourir. Si cela arrive, c’est inévitablement, ici comme ailleurs, la faute en priorité aux autorités. Comme en août 2019 pour le concert de Soolking au stade du 20 août d’Alger. Des progrès à noter: Il n’y a plus de survente de billets au stade du 05 juillet. La vente digitale et les portiques numériques à l’entrée ont éradiqué ce fléau. L’archaïsme est tenace pourtant. Il manque la localisation des billets par sièges ou à défaut par tribunes. Un outil de gestion salvateur ailleurs. Qui aurait sans doute pu éviter la surpopulation dans cette partie basse de la tribune supérieure samedi dernier. La responsabilité des supporters est bien sûr engagée dans le drame. Celle de la police tout autant. D’habitude, elle neutralise les 3 ou 4 rangs les plus bas de toute la tribune supérieure, les rangs les plus proches de la balustrade. Ce n’était pas le cas samedi. Alors même que 2000 à 3000 places étaient, comme de coutume, vidées dans la partie basse de la tribune 11, voisine du lieu du drame. Était-ce nécessaire en l’absence d’un protocole présidentiel ? La commission d’enquête établira sans doute ce qui a provoqué le déclenchement de la vague qui a entraîné d’un éclair les chutes en cascades jusqu’à celle, fatale, du rang le plus bas collé à la balustrade. Une première rupture de la rangée des sièges, comme cause de la vague mortelle, est à investiguer, bien sûr. Celle de la balustrade de sécurité est plus évidente. Elle est choquante. Elle révèle la vétusté endémique de ce temple-tombeau du sport algérien. Fermé, pour rénovation, deux ans après le décès de deux supporters de l’USMA en septembre 2013, passés à travers le béton. À nouveau en travaux en 2022 en prévision des jeux panarabes. Hors service, plusieurs mois en 2016 et en 2024, pour changer de pelouse. La gouvernance algérienne collapse face aux équipements publics. Elle sait les faire réaliser. En prendre livraison. Et les laisser se dégrader hors modèle économique. C’est vrai de l’autoroute Est-ouest qui tombe en ruines. De la nouvelle aérogare d’Alger qui ne deviendra pas le hub international projeté, de la grande Mosquée d’Alger qui se cantonne dans une activité végétative. Le stade du 05 juillet scande cet atavisme. Il le dépassera un jour. Des jeunes sont morts pour cela.