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Voilà pourquoi l’Algérie a été classée à « haut risque de blanchiment » par l’UE

Par Samy Injar
11 juin 2025

La Commission européenne a officiellement ajouté, hier mardi, l’Algérie à sa liste des « pays tiers à haut risque » en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Cette mise à jour, fondée sur les recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI), inclut également l’Angola, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Liban, le Laos, le Venezuela, la Namibie, le Népal et Monaco. Une liste qui alerte les institutions financières européennes et entraîne des obligations de vigilance renforcées pour toutes transactions en lien avec ces juridictions.

L’inscription de l’Algérie, pays plutôt enclavé dans le système financier mondial et soumis à un régime de change strict, a de quoi surprendre, et a provoque des commentaires désabusés à Alger. D’autant plus qu’elle intervient au moment où les Émirats arabes unis, souvent critiqués pour leur permissivité à l’égard des flux financiers douteux, sont, le même jour, retirés de cette même liste.

CatégoriePays
Ajouts (juin 2025)Algérie, Angola, Côte d’Ivoire, Kenya, Laos, Liban, Monaco, Namibie, Népal, Venezuela
Déjà listés (jusqu’à août 2023)Afghanistan, Barbade, Burkina Faso, Cameroun, Îles Caïmans, RDC, Corée du Nord, Gibraltar, Haïti, Iran, Jamaïque, Jordanie, Mali, Mozambique, Myanmar, Nigeria, Panama, Philippines, Sénégal, Afrique du Sud, Soudan du Sud, Syrie, Tanzanie, Trinité-et-Tobago, Ouganda, Émirats arabes unis, Vanuatu, Vietnam, Yémen
Radiés (juin 2025)Barbade, Gibraltar, Jamaïque, Panama, Philippines, Sénégal, Ouganda, Émirats arabes unis

Des critères techniques… à l’impact politique

Cette liste européenne s’appuie en grande partie sur les analyses du GAFI, organisme intergouvernemental chargé d’établir les normes internationales de lutte contre le blanchiment de capitaux (AML) et le financement du terrorisme (CFT). Le GAFI réalise des évaluations mutuelles détaillées, examinant la conformité des juridictions à ses 40 recommandations. Lorsqu’un pays présente des « lacunes stratégiques » mais s’engage à les corriger, il est placé sous « surveillance renforcée », autrement appelée « liste grise ».

C’est dans ce cadre que l’Algérie a été ajoutée à la liste grise du GAFI en octobre 2024. La Commission européenne, suivant sa méthodologie propre, dont on connaît moins les pondérations, considère ensuite le risque que représente chaque pays pour le système financier européen, sur la base de ces évaluations. Si ce risque est jugé significatif, elle propose par acte délégué l’ajout du pays à sa propre liste, sous réserve de validation par le Parlement et le Conseil.

Des déficiences structurelles bien identifiées

Dans le cas de l’Algérie, les critiques portent essentiellement sur « les failles systémiques de son cadre institutionnel ». Les autorités de régulation financières ne disposent pas de moyens suffisants pour appliquer une supervision fondée sur le risque. La déclaration des opérations suspectes demeure rare, les obligations de transparence sur les bénéficiaires effectifs sont encore trop peu contraignantes, et les sanctions financières ciblées, notamment à l’égard de réseaux terroristes, sont jugées insuffisamment appliquées. Traduit plus simplement, l’Algérie ne rapporte pas assez de signalements selon les critères du GAFI. C’est ici ou s’insinue une brèche politique.

Le risque et son interprétation

L’encadrement des ONG, potentiellement utilisées à des fins de financement illicite, ne serait pas, selon la commission européenne, encore conforme aux standards internationaux. Un reproche qui tombe presque sous le ridicule pour qui connaît le carcan sécuritaire et administratif de la subvention publique et des donateurs pour les associations en Algérie. Sauf à considérer que des associations qui soutiennent les Palestiniens à Gaza contribuent selon les critères de GAFI au blanchiment ou au financement du terrorisme. La mise par l’administration Trump, pile dans ce Momentum, de l’association algérienne El Baraka, sur la liste des organisations « à sanctionner » n’a pas manqué d’interpeller nos collègues à la réunion de rédaction de ce matin. En somme, il est reproché au dispositif algérien, bien que théoriquement présent, de ne pas être assez efficace selon les priorités du risque vu depuis Bruxelles.

Des banques algériennes sous surveillance, à juste titre ?

La décision européenne repose aussi sur une question controversée : les banques algériennes servent-elles, directement ou indirectement, de vecteurs à des flux illicites liés à des activités criminelles ? Rien ne permet de l’affirmer catégoriquement, et le contexte économique algérien semble plaider pour l’inverse.

Avec un taux de bancarisation estimé à moins de 50 %, un dinar non convertible et un contrôle des changes extrêmement rigide, l’Algérie est davantage confrontée à des sorties de capitaux qu’à des entrées incontrôlées. Une partie de sa richesse privée s’exfiltre vers des centres offshore ou des juridictions plus permissives – notamment dans l’Union européenne elle-même. Dans ce contexte, le classement algérien semble moins découler d’un risque réel pour la stabilité financière européenne que d’un non-alignement sur les exigences formelles du GAFI.

Un retard de conformité… pénalisant

Il n’en reste pas moins que l’Algérie a pris du retard dans l’application de ses engagements. Depuis la publication de son rapport d’évaluation en 2022, les efforts pour moderniser l’arsenal AML/CFT n’ont pas été jugés suffisants. Le plan d’action élaboré avec le GAFI prévoit des mesures précises – renforcement de la supervision bancaire, réforme du registre des bénéficiaires effectifs, amélioration des mécanismes de déclaration – mais leur mise en œuvre reste incomplète.

À ce titre, la décision européenne peut se comprendre comme une sanction politique, sous couvert technique, visant à accélérer la réforme. Mais faut-il pour autant considérer que ce retard constitue une menace grave pour le système financier européen ? Les premières réactions à Alger ne comprennent pas qu’il le soit devenu.

Une décision qui interroge

Ce classement soulève d’autant plus d’interrogations qu’il intervient simultanément à la sortie des Émirats arabes unis de cette même liste. Ce pays, pourtant largement considéré comme une plateforme majeure de recyclage de capitaux douteux, a bénéficié d’une levée de la surveillance du GAFI en février 2024. Le contraste entre les deux décisions est saisissant. Alors que Dubaï continue d’attirer des fortunes anonymes, l’Algérie, peu intégrée aux circuits financiers mondiaux, se voit stigmatisée pour son manque de réformes.

L’Algérie va devoir s’attaquer aux failles identifiées, indépendamment du caractère très contestable de la décision de la commission européenne. Elle peut espérer une sortie de la liste dans un délai de 18 à 24 mois en engageant une modernisation de sa gouvernance financière. Encore faut-il que la volonté politique suive, que les institutions se renforcent, et que la coopération internationale se traduise par des mesures concrètes. La liste européenne parait peu crédible sur le « risque financier ». Sept autres pays en dehors des Emirats, ont été radiés de la liste ce 10 juin 2025, parmi lesquels des paradis fiscaux comme la Barbade, Gibraltar et Panama.

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