Bessaha : l’investissement public reste peu efficace en Algérie

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Abderrahmi Bessaha : « L’efficience des investissements publics demeure trop faible en Algérie »

Par Maghreb Emergent
4 novembre 2025
Abderahmi Bessaha, expert international en macroéconomie.

Malgré un effort d’investissement public parmi les plus élevés au monde sur vingt-cinq ans, l’Algérie obtient un impact économique limité. C’est le constat d’Abderrahmi Bessaha, économiste algérien ayant fait carrière au FMI. Dans une contribution publiée chez nos confrères d’El Watan, il souligne que la dépense en capital a été massive mais peu productive, faute de stratégie claire, de gouvernance adéquate et de financement soutenable. Pour retrouver une dynamique de croissance inclusive, il plaide pour une bascule vers l’efficience, l’évaluation systématique et des financements mieux encadrés.

Un effort d’investissement sous contrainte

De 2000 à 2019, la dépense en capital a atteint en moyenne 9,7 % du PIB, un niveau rare, soutenu par la rente pétrolière. Les programmes d’infrastructures ont alors connu une expansion rapide. Le choc pétrolier de 2014 marque un tournant : l’investissement retombe sous 6 % du PIB en 2019, avant de remonter à 8,2 % sur 2020-2025 avec la relance post-Covid et la reprise des prix du pétrole. Les projections pour 2026-2030 annoncent toutefois une rechute autour de 6,4 % du PIB, sous l’effet d’une marge budgétaire réduite et de dépenses courantes lourdes.

Le profil sectoriel reflète un virage progressif. L’énergie domine jusqu’à la fin des années 2010, mais les autorités misent ensuite sur l’agriculture, le BTP et les renouvelables (3 200 MW annoncés). Un accord pétro-gazier de 85,4 milliards dans le bassin d’Illizi illustre la poursuite d’une stratégie duale : sécuriser les recettes tout en tentant de diversifier. Pour 2026-2030, 60 milliards de dollars sont prévus, orientés vers l’énergie, l’eau, la sécurité alimentaire et l’industrie. Reste que l’ensemble demeure dépendant des cycles pétroliers.

Résultats macroéconomiques insuffisants

Abdelrahmi Bessaha dresse un bilan mitigé. Sur 2000-2019, un investissement public moyen de 9,7 % du PIB n’a généré que 0,73 point de croissance, 1,45 % d’emplois formels en plus et 0,185 % du PIB en recettes fiscales. L’auteur estime que ces résultats représentent à peine la moitié du potentiel. Entre 2020 et 2025, avec 8,2 % du PIB, l’impact se réduit encore : 0,615 point de croissance, 1,23 % d’emplois formels, 0,155 % du PIB de recettes. Pour 2026-2030, la dynamique anticipée est plus faible encore (0,48 point de croissance, 0,96 % d’emplois).

Sur le plan social, des progrès notables existent : espérance de vie passée de 70 à 76 ans, scolarisation primaire à 97 %, extrême pauvreté contenue. Mais le chômage des jeunes s’aggrave et le pouvoir d’achat décline, malgré un IDH évalué à 0,77 en 2025. L’investissement a amélioré des indicateurs sociaux, sans générer le saut productif attendu.

Productivité du capital en berne

La productivité du capital se détériore. Avant 2020, la croissance était proche de 3,5 % par an : 0,73 point venait du capital, 1,5 point du travail, 1,8 point de la productivité totale des facteurs (PTF). Après 2020, la contribution du capital recule, la PTF devient dominante, signe que l’accumulation seule ne tire plus la croissance. Pour 2026-2030, le PIB progresserait autour de 2,8 % avec une efficacité du capital en repli.

Les indicateurs d’exécution confirment l’inefficience : ratio production/capital additionnel proche de 8 pour 1 (contre 3 pour 1 dans les économies émergentes), multiplicateur effectif de 0,075, surcoûts jusqu’à 30 %, retards moyens de deux ans, taux d’exécution autour de 45 %, qualité des infrastructures évaluée à 76 %. Préparation technique insuffisante, procédures lourdes, dispersion des financements via comptes spéciaux du Trésor, maintenance négligée : l’appareil public dépense beaucoup et capte trop peu de valeur économique.

Financement fragilisé

Jusqu’en 2014, l’État finançait l’investissement sur ressources domestiques : excédent primaire de 27 % du PIB en 2008. Après le choc pétrolier, l’espace budgétaire se referme : déficit primaire autour de 4,3 % du PIB sur 2015-2025, dépenses courantes dépassant les recettes totales dès 2025, recours massif à l’endettement domestique et aux comptes spéciaux du Trésor. Pour 2026-2028, les dépenses courantes pourraient atteindre près de 145 % des recettes, mettant en cause la soutenabilité budgétaire et la capacité à financer l’investissement productif.

Réforme : sélectionner, exécuter, financer mieux

Abderahmi Bessaha propose une stratégie en trois axes : concentrer les ressources sur les projets à fort rendement socio-économique, renforcer la planification et l’exécution, sécuriser le financement.

Sélection : établir des critères stricts de rentabilité économique et sociale, prioriser les projets immédiatement productifs, lier tout nouveau chantier à un plan de maintenance pluriannuel, phaser et achever les projets avancés, abandonner ceux à faible valeur.

Exécution : standardiser les études de faisabilité, instaurer des comités indépendants pour la validation des grands projets, suivre en temps réel les coûts et délais, publier des tableaux de bord trimestriels, systématiser les évaluations ex post.

Financement : consolider le budget, maîtriser les dépenses courantes, élargir l’assiette fiscale, recourir sélectivement à la dette externe et aux partenariats public-privé, renforcer le cadre pluriannuel de finances publiques.

Une agence nationale d’évaluation et de pilotage des investissements publics jouerait le rôle de « garde-fou » technique, tandis que la passation des marchés serait alignée sur les standards internationaux pour garantir concurrence et transparence.

L’enjeu n’est pas de dépenser davantage mais de transformer chaque dinar investi en infrastructure utile, disponible et durable. Sans réforme de la chaîne d’investissement, l’Algérie restera prisonnière d’un modèle peu productif, vulnérable aux cycles pétroliers. En replaçant l’efficience et la discipline au cœur de l’action publique, la dépense d’investissement peut, selon l’économiste, redevenir un moteur de croissance et d’emploi, plutôt qu’une charge budgétaire sous-productive.

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